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CARCASSONNE (3)

CARCASSONNE (3)

CARCASSONNE (3)
La Barbacane du Château

La Barbacane du Château

CARCASSONNE (3)
Porte de l'Aude

Porte de l'Aude

Porte du Sénéchal (à droite) qui conduit jusqu'au quartier de la Trivalle au bas du Château

Porte du Sénéchal (à droite) qui conduit jusqu'au quartier de la Trivalle au bas du Château

Tour de Justice

Tour de Justice

Prises en enfilade : Tour Wisigoth, Tour de l'inquisition, Tour de l'Evêque qui enjambe la lice si l'on peut dire

Prises en enfilade : Tour Wisigoth, Tour de l'inquisition, Tour de l'Evêque qui enjambe la lice si l'on peut dire

Au loin, les sommets de la Cerdagne et du Capcir enneigés

Au loin, les sommets de la Cerdagne et du Capcir enneigés

CARCASSONNE (3)
Tour du Pinte, gigantesque, accolée au Château

Tour du Pinte, gigantesque, accolée au Château

Le Quartier de la Trivalle et un bout de la Barbacane de Saint-Louis en partie détruite

Le Quartier de la Trivalle et un bout de la Barbacane de Saint-Louis en partie détruite

Porte du Sénéchal

Porte du Sénéchal

CARCASSONNE (3)
CARCASSONNE (3)
CARCASSONNE (3)
CARCASSONNE (3)
Le Château de la Cité de Carcassonne

Le Château de la Cité de Carcassonne

Vue de la Cité depuis le vieux pont qui enjambe l'Aude

Vue de la Cité depuis le vieux pont qui enjambe l'Aude

 

Carcassonne (3)

 

 

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Si l’impression laissée par ces agencements de pierres sous le soleil de la journée est si forte, je songe, un instant, à ce qu’elle serait dans la fraîcheur du matin, à plus forte raison vers la tombée du jour, quand les rayons déclinent peu à peu, que l’ombre lentement monte de la plaine à la première enceinte, puis à la seconde, pour gagner le sommet des tours et s’emparer de la Cité…

Forteresse dans la forteresse, le château se défend envers la ville par un fossé et une barbacane, du faubourg aussi, agglutiné par-delà les courtines à proximité de l’Aude. Toutefois, le rude quadrilatère des Trencavel ne sera pas la suite logique de notre visite ; on l’évite ; on le quitte pour arpenter la vieille ville. La rue de la Porte de l’Aude défait de l’étreinte des murs virils, on chemine calmement à travers un flot de visiteurs en sens inverse. A contre-courant du flux, comme l’écume d’une lame déposée sur l’estran qui cherche à rejoindre le large, entravée dans sa progression par de nouvelles vagues, on avance irrégulièrement parmi la foule. On rase les murs. On découvre au hasard de cette promiscuité imposée des ornements ignorés ; une fenêtre géminée, là une pierre polie et sculptée, une embrasure ciselée ; puis la Porte de l’Aude, autre voie d’accès à la Cité, profile son arcature.

Inutile d’y chercher un châtelet triomphant identique à la Porte Narbonnaise, ici, c’est le royaume discret des poternes, des murs épais qui s’entrecroisent à des distances plus ou moins raisonnables. Plongeant par-delà la vieille ville, partis côtoyer le bas de la pente et le cours calme de la rivière, on jette un regard vers l’étendue alentour. A l’air libre si je puis dire, la lice habituelle encastrée entre deux ceintures d’altitudes inégales a disparu ; elle laisse place à un couloir étroit, pavé sous nos pieds, qui serpente comme un large sentier muletier entre les crénelages de l’enceinte extérieure et le pied de quelques tours de la muraille intérieure. De fait, l’opportun élargissement ouvre des horizons, et sans jumelles, ni appareils sophistiqués pour améliorer la perception, on plisse légèrement les yeux pour contempler les névés de la Cerdagne et du Capcir qui déchirent un ciel maintenant limpide. Justement, dans cette direction, comme posée au second plan derrière une poterne de la grande rampe, la Tour carré de l’Evêque enjambe la lice de sa masse rectiligne ; un balcon étroit et crénelé, jeté par-dessus les deux enceintes, qui laisse entrevoir sous ses combles surélevés le bombement de pierres pareilles à celles qui composent la Porte Narbonnaise. Plus près encore, toujours mue par le désir de la surveillance des remparts, la Tour de l’Inquisition s’impose plus fébrile, sûre pourtant de ses fonctions passées qui en firent l’ancien siège du redoutable tribunal. Même si par l’apparence elle ressemble à beaucoup de ses semblables, son nom seul lui donne un air sinistre, une impression ténébreuse. Exécrée par la population du temps de Philippe le Hardi, et encore plus sous Philippe le Bel, on doute peu des excès qui y furent commis ; et dans ses entrailles, même sans les avoir parcourues, on visualise aisément les cachots, les instruments de torture, les tisons chauffés jusqu’à l’incandescence, que quelques geôliers, bourreaux, ou encore inquisiteurs trop zélés, firent goûter par sadisme aux brebis égarées. On ne doute pas, non plus, que les touristes en manque de sensations, attirés par l’odeur passée de la souffrance, de cris et pleurs désespérés, y viennent en grand nombre…

Puis on abandonne du regard le decorum cruel pour plus de distractions. On bascule à l’opposé, vers une structure assez identique, si ce n’est la masse du Château qui domine le paysage. Les saillies des tours, les pierres grises parfois à bossages, les contreforts portant des tourelles, donnent un aspect majestueux au castel comtal. Réunis, ils composent un angle de la Cité qu’on embrasse mieux à mesure que l’on descend sur un chemin en zigzag. Toutes les murailles y sont doublées et enchevêtrées, avec redans et obstacles accumulés, des poternes en travers des lices, des crénelages d’en bas, des tours d’en haut jadis garnies de leurs hourds, de défenses volatiles établies en temps de siège, qui figurent le terrible décor de guerre que devait prendre la forteresse haletante et alors bien vivante.

Maintenant arrivé dans le quartier de la Trivalle, l’église Saint-Gimer remplace une ancienne barbacane de Saint-Louis. Mais tout est secondaire ; les bâtisses en grès, les couvertures de tuiles romaines ; ce qui compte est par-dessus les habitations quelconques, dans la Cité dévoilant enfin une partie de son intégralité. Plantées sur le crêt, le nombre de tours incalculables aux profils dissemblables dessinent des pointes noirâtres sur l’atmosphère fluide. Réalité palpable, la première muraille s’élève sous des remparts plus forts encore, tandis qu’au centre du second étagement le Château de Robert-le-Vieux hissent son flanc millénaire exposé au couchant. Si hautes sont ses courtines, si dressées vers l’azur sont quelques-unes de ses tours, qu’on l’assimile à une troisième enceinte dominée par un nid d’aigle qui semble vouloir tutoyer le ciel. C’est la Tour du Pinte !

Véritable citadelle dans la citadelle, plus solide que la ville elle-même, l’ultime retranchement a la robustesse du lieu inviolable que la victoire ne forcera que suite à des efforts incalculables. Pourtant, étrange paradoxe, c’est là, juste sous la large masse protectrice du Château, que la Cité a connu sa plus sérieuse blessure ; non point celle des horions ou des armes de sièges, mais celle de chirurgiens locaux impatients d’utiliser leurs scalpels. Aussi, sous nos yeux désolés, mon frère et moi regardons des amas de pierres dévalés la raide inclinaison, se désolidariser à mesure qu’ils progressent vers notre position. Mais nulle tristesse nous envahit, trop d’éléments ont survécu pour que l’on puisse souffrir. Et lorsqu’on s’éloigne davantage, on oublie vite l’amputation qui a privé le bel amoncèlement d’une de ses barbacanes... L’Aude se révèle plus loin, et avec elle un pont aussi vieux que le farouche castel. Son aspect déjeté, ses douze arches irrégulières, son échine fatiguée, rappellent qu’ici passèrent les armées de chevaliers, princes, routiers, évêques et moines, de Simon de Montfort, tous souillés du sang de Béziers…

 

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