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LE PAYS DES LYCANTHROPES

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Le pays des lycanthropes

 

 

L’originalité se perd. Il est une chose certaine et reconnue, c’est qu’à l’heure où les joies du confinement freinent l’enthousiasme et contraignent à se retourner sur soi pour chercher une quelconque échappatoire, on rebat sans cesse les mêmes idées, juste inquiet des répercutions fâcheuses que la sédentarité pourra occasionner sur nos physionomies de plus en plus embouteillées. Nous sommes, par le simple fait de l’isolement, par la défiance, devenus des critiques experts, qualités et défauts liés à la patience dans nos recherches pour entrevoir une parcelle de vérité. Une soif de réalité, parfois juchée dans des détails, qui pousse par instant jusqu’à l’adoration de l’inutile, au culte du vrai, à une religion du naturel, qui envahit le quotidien, et délaisse en contrepoint l’originalité, moyen sublime de s’évader. Nomades, les hommes le sont, et sans doute à leur image le resterai-je jusqu’au moment où mes capacités physiques limiteront ce besoin consubstantiel d’évasion. Aussi, alors que les cloches d’une nouvelle eschatologie du monde triomphent, qu’on apprend à vivre reclus, à passer le plus clair de ses journées à entretenir son jardin, en contravention de toutes les règles édictant une limitation des déplacements, on chemine à travers le pays, pas au-delà de deux heures de route de son port d’attache néanmoins. Sûrement, sans l’impérieuse camisole législative, partirait-on plus loin, mais la latitude octroyée apporte déjà le plaisir de pratiquer des grandes lignes droites entre la Trimouille et Le Blanc.

Le Bas-Berry, comme on disait dans l’ancien temps, constitue donc la destination privilégiée, la Brenne plus exactement ; un pagus aux mille étangs, noyé sous des retenues qui semblent plus nombreuses que le total des résidants. Concomitance joyeuse et féconde, l’imagination, cette capacité de se représenter le passé sous une forme analogue à mes sensations, véhicule gentiment à côté de mes pensées débridées ; si bien, que plus le paysage se dévoile, plus on pénètre dans un dédale de buttées circonscrites par des fossés inondés, plus un monde d’antan se recrée. On dit, on affirme même pour certains, que Dagobert et son fidèle Eloi, aimèrent le pays pour ses richesses giboyeuses, ses forêts d’arbres aux feuilles caducifoliées aux ombrages protecteurs sous lesquels pullulaient une faune destinée à leurs pratiques cynégétiques. L’axiome est crédible, même si se rendant à Saint-Michel-en-Brenne, on peine à retrouver les vastes étendues boisées qui sont la marque de fabrique de la Sologne voisine. A ce titre, les yeux rivés sur le sol, son coloris surprend ; des taupinières, ou encore des mottes de terres, révèlent un sable fin grisâtre similaire à une terre à bruyère. Mais le premier hameau ci-dessus mentionné apparaît ; une localité sans prétention, aux maisons basses, à peine structurée autour d’une place qu’occupe un cénotaphe dédié aux malheureux tombés lors des dernières guerres. Pur hasard, un prête, un de ces professionnels des offices, soutane enfilée sur son buste cambré, et béret solidement rivé sur son crâne lustré, surgit d’un coin de rue. D’un pas rapide, il traverse ce que l’on considère ici comme une ville, avant de s’enfoncer par derrière un mur, obstacle à la vision d’une mare dominée par les masses agréables d’un ancien moulin et d’une demeure au cachet presque aristocratique. Interpellé par tant de célérité, on suit les traces de l’ecclésiastique, jusqu’à aborder un canal et le portail de ce qui est une abbaye. Sous l’arche béante de l’entrée des bâtiments cénobitiques, une église se dessine, sans sculptures, ni bas reliefs, encore moins pourvus de contreforts et piliers, marqueurs habituels d’une antériorité affirmée. Des sœurs, à tour de rôle, s’extraient de l’édifice cultuel, jetant des regards interrogateurs dans ma direction. Puis les voilà qui se rassemblent, délibèrent sous leurs coiffes cornues, jusqu’à ce que l’une d’entre-elles, que j’assimile à la mère supérieure, vienne à ma rencontre. Par courtoisie, un salut respectif est échangé, puis une discussion s’entame, calme et posée, faite exclusivement de banalités. Soudain, alors que pointe la tentation du prosélytisme dans les propos de mon interlocutrice, je tente une interrogation sur les bâtiments abbatiaux et la géographie lacustre qui entourent.

La réponse au premier volet de la question est pleine de rebondissements... La dévote, instruite de l’histoire locale, m’apprend que la proche mairie occupe l’emplacement de feu la première abbatiale ; détruite par Louis XIV, suite à son ire contre les théories de Port-Royal, introduite par l’abbé Duvergier de Hauranne, qui officiait ici. Ainsi, alors que je foule une terre que même César évita dans sa conquête des Gaules, ou que les armées triomphatrices de Waterloo n’osèrent traverser, ce lieu fut le point de diffusion des vieilles thèses de Pelage, reprises par Jansénius, qui mirent à mal la royauté et la prédominance des Jésuites. Mais le plus croustillant reste la conclusion insolite des explications de la moniale, laquelle jubile presque en assénant « ils ne sont pas des catholiques, comme nous ». Respectueux à son égard, je ne relève pas l’assertion finale, laquelle me semble être peu conforme avec l’historicité, et préfère basculer sur le second point soulevé ; la multitude des nappes liquides, qui donnent à ce pays l’illusion d’un corps couvert d’ecchymoses. Seconde surprise ! Alors que l’on croit l’endroit rendu imperméable par le ruissellement de détriments accumulés suite au soulèvement du Massif Central, on apprend qu’à nouveau les moines furent les acteurs principaux de cette transformation. Dans leur quête de solitude, voulant reproduire les conditions de vie des Pères du Désert, ils ont cherché, à partir du treizième siècle, à aménager cet espace pour répondre à leurs besoins impérieux de nourritures. Mus par l’ascèse, et l’obligation de se sustenter seulement de viandes blanches, ils ont strié la Brenne de canaux, déversant leurs eaux paresseuses dans des cuvettes artificielles qu’ils réalisèrent à l’aide de convers. Hélas pour eux ! Hélas pour la Brenne ! Alors qu’ils croyaient conduire une bonne entreprise, laquelle aujourd’hui permet de contempler des nichés d’aigrettes, bécassines et bernaches, derrière des haies vives de roseaux, ils introduisirent le Malin dans la contrée. Car longtemps, jusqu’au siècle dernier, on considéra la Brenne comme l’une des régions les plus malsaines, plus triste même que la Brière, avec ses brouillards et exhalaisons empestées causant fièvres et maux à ceux qui les fréquentaient. Sur plus de huit-mille hectares, ils ont dispersé des étangs sur un sol aussi imperméable qu’une tourbière, transformant la Brenne en un foyer de pestilence. Aussi, peu d’étonnement à savoir que les indigènes passaient difficilement alors l’âge de vingt-et-un ans, et que la sauvagerie des locaux, accentuée par les fièvres qui rendaient leurs faces hâves et livides, détourna les étrangers de toute visite. Désormais isolée du monde, la Brenne devint un sujet de fantasmagories, de récits fantastiques, le pays par excellence des sorciers, des farfadets et des lycanthropes. La légende du loup-garou fut si répandue, qu’on lui octroya presque une réalité. Dans cet univers malsain et nauséabond, où chaque pas posé sur le sol s’accompagnait du son glauque d’une eau jaillissant sous les pieds, identique à celui d’une éponge gorgée de liquide et pressée, les serpents, ondulant dans les nappes boueuses des marécages, furent assimilés à des vecteurs de paludisme, on parla même de crocodiles traînant leurs corps langoureux sur les rives de marais asséchés, prêts à bondir sur une présence humaine, hélas, égarée.

Ainsi, au milieu de ces mornes étangs, bordés d’ormeaux dont les branches donnaient à ces arbres des formes monstrueuses, les lycanthropes rodaient, leurs déplacements couverts par l’ululement frémissant de chouettes aux yeux phosphorescents sous la pâle clarté lunaire. Mais, maintenant, malgré la persistance de quelques superstitions, tout cela appartient au passé. On a desséché pour partie, on a remplacé les miasmes des terrains saturés d’eau par des prairies ouvertes et aérées au milieu desquelles on peut contempler le balai de vaches et veaux s’humidifiant dans une marre jusqu’aux garrots. Néanmoins, alors que l’on s’avance vers le seul monticule qui domine la Brenne, et fait figure de belvédère au sein de ces plaines désolées, des troncs d’arbres jaillissant d’ondes sombres, noirs comme une corneille, comme pétrifiés par on ne sait quel sortilège, ravivent un instant ces frayeurs que l’on croyait oubliées, les heures lugubres, si longtemps accolées à ce pays détrempé. Mais, juché au sommet d’une colline, le château du Bouchet, entouré de dépendances aux murs lie de vin, apportent une gaieté que l’on n'osait espérer. L’endroit, à deux pas de l’étang de la mer Rouge, où l’on s’attend presque à trouver dans ses entrailles les restes d’une armée engloutie, a le charme discret des hameaux du Lot et du Quercy. De belles demeures, comme celles de la Grand-Cour et de la Sénéchallerie, accompagnent des granges et maisons traditionnelles, toutes érigées à l’aide d’un grès rouge. Puis, par-delà les anciennes fermes, les grasses herbes agrémentées de jonquilles et d’arbres fruitiers aux coloris printanières, le castel dresse son architecture féodale, comme un immense fanal perché par-dessus la plaine et surveillant la Brenne…