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Pietro Della Vecchia à Vicenza

Pietro Della Vecchia à Vicenza

Pietro Della Vecchia à Vicenza
Pietro Della Vecchia (1603-1678), Christ mort (en haut), saints Sébastien et Jean-Baptiste (en bas), huile sur toile

Pietro Della Vecchia (1603-1678), Christ mort (en haut), saints Sébastien et Jean-Baptiste (en bas), huile sur toile

Pietro Della Vecchia à Vicenza
Pietro Della Vecchia à Vicenza
Pietro Della Vecchia, Grotesques, vers 1670, huiles sur toiles

Pietro Della Vecchia, Grotesques, vers 1670, huiles sur toiles

Pietro Della Vecchia à Vicenza
Pietro Della Vecchia à Vicenza
Pietro Della Vecchia à Vicenza
Pietro Della Vecchia à Vicenza
Pietro Della Vecchia à Vicenza
Pietro Della Vecchia à Vicenza
Pietro Della Vecchia à Vicenza
Pietro Della Vecchia, Le Diseur de bonne aventure, huile sur toile, 148x219 cm

Pietro Della Vecchia, Le Diseur de bonne aventure, huile sur toile, 148x219 cm

Pietro Della Vecchia à Vicenza
Pietro Della Vecchia à Vicenza
Pietro Della Vecchia à Vicenza
Giulio Carpioni, Saint Sébastien, seconde moitié du 17è siècle, huile sur toile, 19x29 cm

Giulio Carpioni, Saint Sébastien, seconde moitié du 17è siècle, huile sur toile, 19x29 cm

Pietro Della Vecchia, Portrait de femme, huile sur toile

Pietro Della Vecchia, Portrait de femme, huile sur toile

Pietro Della Vecchia à Vicenza
Francesco Maffei, Christ remet les clefs à saint Pierre, 1645, huile sur toile, 347x150 cm

Francesco Maffei, Christ remet les clefs à saint Pierre, 1645, huile sur toile, 347x150 cm

 

Musée du Palazzo Chiericati (8)

 

 

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Regardant quatre figures peintes par Pietro Della Vecchia, on se dit qu’avant les traits étaient rudes, les peaux hérissées, les barbes épaisses appelaient la vieillesse ; c’était la raison, la raison seule, qui s’écoulait sans fanfaronnades sur les visages. Peut-être, songe-t-on, auraient-ils du tirer du lait d’ânesse, le tremper dans du pain, et se frotter la peau de leurs faces pour, comme le faisaient les Romains délicats, empêcher leurs barbes de pousser ? Car qu’y a-t-il de plus doux, de plus distingué par sa finesse et sa surface lustrée, qu’une peau imberbe ! Eux, jadis éphèbes, ils sont massifs, leurs chevelures lourdes collées aux mentons les écrasent. De larges sillons rigides accentuent les profondes crevasses qui plissent leurs faciès sans cesse immobiles. Sous la lumière, ils montrent leurs plaies, anciennes et nouvelles ; un marchand peut-être ; un dignitaire de l’Orient venu faire la connaissance de la Sérénissime ; un homme astreint à faire régner l’ordre, ou malfrat sans remord de ses derniers larcins ; un sage, le regard illuminé par le savoir. Ont-ils cinquante ans ? Plus encore ? Sont-ils pères ? Ils sont toujours sec de gaieté, mince de facéties ; et verticaux et sévères, sous ces jours mourants, dans la pénombre, leurs squames sont à l’image de ces plaques en cuivre ciselées par d’hardis burins que l’on utilise dans l’imprimerie.

Sableux parfois, en forme d’ondulations anarchiques, transversaux, dissymétriques, sédiments linéaires qui s’écoulent sur le cours d’une végétation de poils hors de proportions, pour les plus heureux, les bouts filins s’accrochent aux commissures de leurs lèvres ; pour les malheureux, les condamnés, ils laissent là ces velours intacts, et s’abattent en tristes cataractes le long de bouches crispées et fermées sur des secrets.

La vulgarité s’invite peu en eux. Sans ciselures, ni dentelles, Pietro Della Vecchia reprend l’ornement décoratif à la mode depuis les découvertes effectuées, cent-cinquante années plus tôt, dans la Domus Aurea de Néron. C’est au goût des grotesques qu’il s’astreint ; il caricature, grossit les moustaches effroyables, accentue les côtés invraisemblables pour prêter à sourire, à aussi se questionner sur le rendu de ces odieux individus. Bestiaux, mais superbes de vie, leurs yeux luisent, leurs bouches ont quelque chose de férocement cruelles ; ils inquiètent tout autant qu’ils fascinent.

Le Sabbat sans queue ni tête que les hommes mènent sur Terre ne les intéresse point, simplement, ils se veulent un écho aux œuvres ténébreuses et ésotériques qui les environnent. Maffei, le maître de Pietro Della Vecchia, est ici dans sa deuxième jeunesse, et sciemment il a quitté ces contrées crépusculaires. Son Christ qui remet les clefs à saint Pierre, il l’a voulu dans une scène libre, identique à une belle image. Malgré son format vertical, ces acteurs vivent dans un monde aéré, ils s’habillent d’un jeu d’oppositions chromatiques subtiles, venues de Veronese ; ils s’écartent, laissent circuler les idées jusqu’à un arrière-plan où le thème narratif est offert ; la déchéance sous forme de ruines d’un temple païen, une allusion à peine voilée aux méfaits de la Réforme. Pietro Della Vecchia, lui, au contraire, il poursuit ses travaux de faussaire. Il prend à Caravaggio dans ses trois études sur le Christ et saints Jean-Baptiste et Sébastien. Dans ce dix-septième siècle peuplé de grands savants et écrivains, il est un de ces pirates, corsaires et flibustiers, qui ont fait un art de la technique de fiction. Comme un bonimenteur, un tricheur, un scélérat, un imposteur ! il est devenu expert en tromperie, ruse, et exécute des faux présentés comme des originaux. Une spécialité qui le mena loin, puisque toute à sa capacité de peindre à la manière monumentale des grands maîtres vénitiens, on lui accorda le titre de peintre ducal ; on lui confia même la restauration du retable Castelfranco de Giorgione en 1644 ; on loua, dans une époque toute autre que la nôtre, ses exploits de virtuosités conçus pour plaire aux connaisseurs sophistiqués, et dont un Portrait de jeune femme est l’exemple le plus évocateur en cette salle. Mais Pietro Della Vecchia fut plus qu’un contrebandier nourri de son commerce interlope ; il fut un cérébral ; il s’intéressa aux mathématiques, à la grammaire, aux pratiques ésotériques, à la Kabbale et l’alchimie ; il finit même par fonder sa propre Académie à Venise.

Sans aller à Rome, époux d’une fille de Niccolo Renieri, il se découvre un destin à la Manfredi et Vouet dans sa toile caravagesque du Diseur de bonne aventure. Cerné de guerriers aux chapeaux plumés, un vieux devin lit dans la main d’un soldat, consulte ses lourds grimoires posés sur la table, et un parchemin, déroulé vers le spectateur, où on lit, écrit en hébreu et latin, le verset du Livre de Job, « sur la main de chacun un sceau, afin que chacun reconnaissance son œuvre »… Qu’est-ce là ! La feuille couverte de mains flanquées de signes kabbalistiques, la réponse suscite l’étonnement et la perplexité chez les compagnons de fortune. Elle consterne les deux aînés de droite, engendre l’effroi dans les yeux du malheureux ainsi interrogé. Porté par un idéal pictural qui n’est ni le beau, ni le vrai, ni le pur par excellence, Della Vecchia décrit ce qu’il appelle le naturel, autrement dit pas autre chose que le trivial ; car, quoi de plus ordinaire que ces visages stupéfaits, ces bouches ouvertes, et reconnus par tout le monde, pour signifier, dans un clair-obscur chamarré de vives couleurs, l’irrévocable ambigüité du cours des évènements qui accompagnent les volontés humaines… Ainsi, sans fards, sous une lumière de convention, les murs barbouillés de marrons, d’ocres et de noirs, on quitte la toile, sa clarté pénétrée par une étroite fenêtre sans doute pratiquée près du plafond ; on jette des regards sur les quelques œuvres oubliées et situées autour, et, définitivement, on prend congés du musée et de la cité de Vicenza…

 

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