Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
SPAGGIA
SPAGGIA
Menu
Allegria

Allegria

Allegria
Cratère à volutes à figures rouges du peintre de Borée, 460 av. J-C.

Cratère à volutes à figures rouges du peintre de Borée, 460 av. J-C.

Face A : départ de Néoptolémos de Sciro. Il fait ses adieux à Lycomède et à sa mère Deidamia. Ulysse et Phoenix en conversation.

Face A : départ de Néoptolémos de Sciro. Il fait ses adieux à Lycomède et à sa mère Deidamia. Ulysse et Phoenix en conversation.

Allegria
Face B : Départ d'Achille de Phthie. une jeune femme tenant un baluchon sur la tête s'approche de lui, qui a l'intention de parler à deux femmes, tandis que Thétis montre à Pélée l'armure de son fils

Face B : Départ d'Achille de Phthie. une jeune femme tenant un baluchon sur la tête s'approche de lui, qui a l'intention de parler à deux femmes, tandis que Thétis montre à Pélée l'armure de son fils

Allegria
Allegria
Kylix à figures rouges du peintre de Penthésilée, 450-460 av. J-C, pièce exceptionnelle de 62cm de diamètre retrouvée par-dessus, comme un couvercle, le cratère du peintre de Borée

Kylix à figures rouges du peintre de Penthésilée, 450-460 av. J-C, pièce exceptionnelle de 62cm de diamètre retrouvée par-dessus, comme un couvercle, le cratère du peintre de Borée

Au centre : Apothéose de Thésée, à cheval, accompagné de Pirithous. Autour : les exploits de jeunesse de Thésée

Au centre : Apothéose de Thésée, à cheval, accompagné de Pirithous. Autour : les exploits de jeunesse de Thésée

Allegria
Faces extérieures : la dispute entre Ajax et Ulysse pour les armes d'Achille ; duel entre Achille et Memnon (demi-dieu, l'un des frères du roi troyen Priam)

Faces extérieures : la dispute entre Ajax et Ulysse pour les armes d'Achille ; duel entre Achille et Memnon (demi-dieu, l'un des frères du roi troyen Priam)

Allegria
Allegria

 

Palazzo Costabili (8)

 

 

Précédent : Réhabilitation

 

Allegria !, s’exclamerait-on sans peur, si la crainte de faire sursauter une gardienne n’entravait cet élan.

Plaisir, plaisir, se répète-t-on.

Sublime privilège que d’être débarrassé des tâches désagréables pour n’en conserver que celles proches du cœur.

Plaisir, plaisir, marmonne-t-on sans fin.

Conscient que dorénavant les choses n’ont plus le besoin d’être approfondies ; trop longue, trop sérieuse, juge-t-on à rebours, fut la solitude de pensées jusque-là nécessaires qui, enfin, se dérobent.

Chasse les analyses glacées, oublie la traversée de pays fumeux, une nouvelle énergie enflamme le flux de tes yeux qui rencontrent mille merveilles et s’étonnent.

Félicité du regard, deux perles roulent sur les peintures, relevant des agencements, en estimant les entendements. Belles et sages ordonnances, on se lâche, pour parler vulgaire. On arrive au seuil de la dernière étape. On pressent, ménage, une joie interne qui sera sûrement exubérante.

Le labeur infernal des conjonctures, l’inquiétude, le souci de dégager un développement fécond, on s’oublie, rit même d’un moment précédent où, affalé dans un canapé propice à la relaxation, on s’est laissé aller à une somnolence ponctuée de râles pareils à des ronflements.

Plongé en une léthargie, à mi-chemin entre l’éveil et la sieste, on croît, peut-être ?, on se soupçonne du moins, d’avoir rompu le silence de ce sanctuaire de l’art de quelques tonalités gutturales. Le regard réprobateur, lancé par une visiteuse au réveil, paraît renforcer la conviction prémonitoire. Mais on fait fi de ce qui est pour nous un non désagrément.

Cent-cinquante minutes déjà que l’on se fascine comme un enfant !

Un temps court ou interminable, c’est selon ; une parcelle de Kronos où l’esprit a eu le temps d’ingurgiter les révélations de l’existence de réalités insoupçonnées auparavant. Définitivement délesté du fardeau de la gnose, si les détails des pièces n’étaient essentiels, si les vitrines ne propageaient des éclats capricieux, identique à d’autres fois, on poserait son séant sur le sol, appuyé contre mur. A l’image du marcheur dont la promenade se ponctue de rêveries projetées sur un paysage, on aimerait effectuer ces dites pauses ; mais, hélas, il faut s’obliger encore... Se casser, se redresser, s’étirer à l’occasion… On enfile donc le vêtement de la résistance. On se hausse à l’idée qu’on ne peut perdre tout cela par la seule faculté de n’avoir pu surmonter la lassitude.

Cratère du peintre de Borée… Beau, imposant, les personnages y ont la cadence gestuelle où transpire encore l’influence du vieux kouros ; ils ont un caractère noble. On voyage avec eux… Le vent pousse jusqu’à l’île de Lemnos. En voici les rivages, la terre entourée d’îlots est non foulée et non habitée par les hommes depuis longtemps… Ulysse, Phoenix, Diomène, Néoptolémos, ce dernier fils d’un parent héroïque, Achille, porte fièrement la cuirasse de son père. Ils se mettent en branle. Un brin d’agitation dans les préparatifs ? pas le moins du monde ; ils ont juste quelques transferts d’émotions sur les visages, des yeux gonflés d’une joie contenue, une tension s’y lit en filigrane ; celle des adieux ; celle de la farouche bataille en perspective qui, depuis des années, se déroule au pied du mont Ida. Achille est là, aussi, étonnant !, dessiné au revers du cratère. La Petite Iliade et Sophocle m’avaient pourtant affirmé qu’il avait déjà connu le trépas ? Phusis alors ?, s’interroge-t-on. Une ironie de l’artiste qui se serait arrogé la suggestive capacité de transmettre des qualités à une descendance… Hum, on arrête là les analogies interprétatives. On laisse les deux générations à leurs loisirs. Sourcilleux, l’œil suspicieux par nature s’aventure cependant au plus près de la frise, car il veut une confirmation le gredin. Mais rien ne frappe du sceau de la ressemblance physique entre les deux hommes. L’affaire est close. Ces fugaces suppositions envolées, l’absence de Philotète surprend autrement. Ne fut-ce pas lui le stimulus de toute cette expédition ? Et, de lui, dont on disait que le pied distillait un sang corrompu pour sa traitrise, on l’a abandonné, il y a longtemps, sur cette île ; or, tous le savent ! Il le faut, on ne peut pas faire sans lui. Ils ont conscience de leur impérative obligation de ramener l’arc qu’Héraclès lui a confié ; le choix ne peut en être cédé ; Hélenius, le devin, l’a dit ; la victoire à Troie sera associée à ce prix là…

Kylix… Que le nom est joyeux ! Pour un objet d’art à la qualité si remarquable, l’envie viendrait presque de rimer avec lui. Sûr, par des allers et venus effectués dans le musée, il en est une des pièces les plus exceptionnelles. Il brille. Son glacé est tel, que l’on a du y mettre un surplus de pegmatites, autrement ce n’est pas possible. Sa nappe protectrice distille les éclats de la transparence ; elle a la grâce particulière du clair saphir des eaux, le regard limpide qui pénètre, propage une tendresse mystérieuse à son égard. On se sent combler face à ses réverbérations de miroir ; et par-dessous elles, des marbrures fondantes se dégradent, chahutent des rouges basculant vers des crèmes, des oranges, des marrons ; une transition subtile de mates et de brillances, de coloris vifs et noirâtres, où comme sur une tapisserie l’apothéose du fils d’Egée se jalonne de combats. Rien ne manque à la fable du héros de l’Attique. La couleur de l’histoire quelquefois teintée du caractère de l’invraisemblance, tel un Héraclès, il part vers des contrées où brigands et voleurs se faisaient leurs délices de l’outrage et de l’impudence. Il part donc, avec l’intention et la résolution bien arrêtée de n’attaquer personne, mais de repousser vigoureusement toute violence. Il rencontre Périphétès, armé d’une massue, qui l’arrête, veut l’empêcher de passer, il le combat et le tue, et, charmé par sa massue, il la prend, s’en arme, et la portera toujours par la suite. Dans l’isthme de Corinthe, il fait périr Sinis, le ployeur de pins, par le même supplice que Sinis avait infligé à tant d’autres. A Crommyon, une laie nommé Phaéa, animal dangereux et plein de courage, pour ne point paraître agir uniquement par nécessité, il l’attend et la tue. Sur les confins de Mégare, il donne la mort à Sciron, en le précipitant du haut d’un rocher dans la mer. Arrivé à Eleusis, il vainque à la lutte Cercyon d’Arcadie, et le tue. Passant de là à Erinnéus, il fit mourir Damaste, en l’allongeant à la mesure de son lit, comme il allongeait lui-même ses hôtes. Parvenu à Athènes, pour exercer son courage et en même temps gagner l’affection du peuple, il combat le taureau de Marathon, le prend vivant ; et après l’avoir promené en spectacle dans toute la ville, il le sacrifie à Apollon. Transporté en Crète, les enfants d’Athènes dévorés par le Minotaure, dans le Labyrinthe, il affronte ce mélange de deux natures, le taureau et l’homme, le tue, ressort du dédale grâce à Ariane, éprise pour lui d’amour, qui lui avait donné une pelote de fil.

Totalement absorbé, à présent insensible aux choses du monde extérieur, en lévitation, à l’image de cette vasque fantastique, au diamètre égal à celui d’un tondo toscan, on se détache des pesanteurs matérielles. On s’éloigne, poursuit, lentement. Eprouvé le sentiment de traverser un rêve, afin de prolonger cette chimère, on s’impose une dépendance à de nouvelles pièces hors de l’ordinaire…

 

Suivant : D'une valeur inestimable