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La création d'Adam

La création d'Adam

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La création d'Adam

 

La Création d’Adam

 

Voûte de la Chapelle Sixtine

Buonarroti Michelangelo,

1511

 

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Précédent : Genèse dans la Sixtine

 

 

« Vous, doctes à la haute et profonde science, vous qui devinez et qui savez comment, où et quand tout s’unit. Vous, grands savants, instruisez-moi ! Découvrez-moi ce que j’ai là, découvrez-moi où, comment, quand et pourquoi pareille chose arriva »…

 

Je ferme les yeux, bouche mes oreilles, éteint une à une les sensations qui m’arrivent du monde extérieur. Voilà qui est fait ! Toutes les perceptions s’évanouissent, l’univers matériel s’abime dans le silence et dans la nuit. Je subsiste, et ne puis m’empêcher de subsister ; je suis encore là, plein des sensations organiques qui proviennent de la périphérie et de l’intérieur de mon corps. Débarrassé des souvenirs et des perceptions passées, l’impression même du vide, bien positive, bien pleine, m’envahit… Perdu dans la solitude, il me semble que je m’enfonce, chaque minute davantage, dans un souterrain sombre, dont les bords reflètent par intermittence les coloris aquarellés de la Création d’Adam.

Sans personne avec moi, sans personne autour de moi, sans personne de vivant arpentant ce même chemin ténébreux, je contemple, comme Jacob, le ciel ouvert. Parfois j’entends des bruits, des voix, des expressions exacerbées qui voltigent en mille langues, mais je m’avance à tâtons dans mon couloir de pensées, dans une joie solitaire que ne sentent pas les autres incapables de me comprendre. L’égoïste satisfaction de voir, de deviner et m’extasier sans fin sur la pièce maîtresse de la Sixtine, me plonge dans un désert...

 

L’homme ne sait pas ce qui se passe dans un autre homme. Toi et moi, nous sommes plus loin l’un de l’autre que ces astres, les plus isolés surtout, et pourtant, je m’évertue à dénicher les bribes de ta pensée insondable. Buonarroti… il y a des noms lorsqu’ils retentissent qui ont le parfum de l’infini…

Du haut de ton escabeau surdimensionné, tu as résolu le problème ardu de figurer le souffle de la vie. Par ta témérité presque enfantine, tu as mis en action, sans convention, mais avec combien de sous-entendus, un motif bien vague. Ingénu, peu respectueux des élaborations d’antan, loin du rayon lumineux qui part de la bouche de l’Eternel et vient toucher les lèvres de l’ancêtre à nous tous, tu as légèrement penché le corps inerte de ton Adam.

L’art humain ne connaissait pas, ne connaîtra-t-il peut-être jamais plus d’inspiration aussi merveilleuse que la tienne ?... La force, l'élégance, la souple harmonie des formes ont rarement dans la peinture enfanté une chose aussi comparable ; une tête si innocente, si expressive, où la pensée éclot, où la gratitude instinctive prélude à l'adoration ; une pose aussi, celle de ton Adam à demi-couché, appuyé sur son coude, à l’attitude lascive de l'épaule droite jusqu’à son pied, qui lui donne ce contour si noblement balancé.

 

Arrivé sur le premier sentier de la Terre, dans le pays d’Eden, dans la solitude non foulée, l’Enfant se libère des immuables étreintes terrestres qui l’ont vu naître. Il tend son bras vers le bras tendu de son créateur. Mais qui vient ? Qui l’appelle ?... Enveloppé d'une sombre draperie volante, soutenu par un groupe d'anges tassés dans une conque d'étoffe comme dans un nid, Dieu le Père, Olympien, plane dans les airs. Auréolé de la splendeur du Feu qui crée tout, il s’approche de notre planète sans l’aborder ; il étend son bras vers le bras étendu de sa créature et, de l'index, presque touchant l'index du premier homme, il va lui communiquer le fluide vital.

Mais l’Enfant hésite-t-il ? les deux doigts ne se touchant pas. La dernière phalange d’Adam peine à se dresser pour que jaillisse en lui l’étincelle de lumière qui donne l’âme. Il s’active lentement, il lui semble voir quelque chose ; il a dans la prunelle une lueur qui est comme une réverbération d’une âme aperçue au loin. A chaque geste supplémentaire, il se rapproche de la rencontre inexorable ; il lève son bras, la tête légèrement renversée, l’œil fixe, avec un mouvement de fantôme il se déploie sans hâte.

Pourquoi cet arrêt subit ? Pourquoi met-il aussi peu d’entrain à vouloir toucher ce Dieu à la gravité à son image ?... Assis sur une pente dépouillée qui ne distrait pas l'attention de ses premiers mouvements, de son premier regard, de sa première pensée de premier enfant de la Terre, il regarde le groupe animé dans l’éther qui fait mieux ressortir son isolement total. Il sourit presque, mais son visage n’est pas illuminé par le rictus habituel du nouveau né ; il y a en son dedans comme un esprit subtil, comme une tristesse poignante qu’il communique.

Qu’il paraît pénétré de douleur par moment ! Que l’Eternel paraît aussi grave et soucieux ! Que les traits de ce dernier expriment une pitié mystérieuse, une compassion voilée mais intense, comme s’il savait déjà, hélas, les épreuves, les misères qui attendent cette argile par lui-même animé. Et l'homme, lui aussi, en a le pressentiment bien amer... Aucun élan chez ce fils de la Terre à cet instant d'un éveil si magique, aucune flamme dans ses yeux qui viennent de s'ouvrir au spectacle du monde ; plutôt de l'angoisse dans le geste, de l’abattement dans les membres ; et dans son regard grand mais morne, comme un muet reproche il affaisse son corps sur un bras gauche qui lui sert d'appui pour marquer son hésitation et ses futures désillusions…