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Beatrice Cenci / Guido Reni

Beatrice Cenci / Guido Reni

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Beatrice Cenci / Guido Reni

 

La Belle parricide / Guido Reni

 

Guido Reni

Palazzo Barberini, Roma

1598

0,75 x 0,50 mètres

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L’oubli, affres du temps, contre lequel luttèrent de si nombreux auteurs pour que des mémoires perdurent, s’accompagne parfois de tragédies. Effroyables et cruelles, elles s’ouvrent par des meurtres et se dénouent par des meurtres, véritables enchaînements d’évènements terribles, funestes, à l’issue fatale. Rien n’y manque, ni les passions, ni les caractères, ni le sombre destin qui conserve dans ce portrait, exposé en face de celui de la Magdanella de Cagnacci, les accidents de la vie réelle d’une enfant à peine arrivée à l’âge de l’adolescence.

Père indigne, qui martyrisa sa famille et sa propre fille ; toi, le mécréant, dernier rejeton d’une famille si noble, qui trouva ses origines avant même l’âge de Scipion, pour se sauver elle-même ainsi que tous les membres de sa famille, Béatrice dut se résoudre à t’occire.

C’est elle, combattue par l’envahissement de l’ombre, que Guido Reni est venu visiter dans sa cellule, avant que la sentence irrévocable prononcée par le pape Clément VIII ne la transforme en poudre et objet de vénération. Ton exécution reste encore dans les annales de la cité jadis impériale, et quand le couperet s’abaissa sur ta nuque délicate, tes bourreaux ignoraient qu’une malédiction les emporterait bientôt vers le pays que tu côtoyais déjà, hélas. Même Caravaggio, le prodige affreux des bas-fonds de la capitale, fut pris de commisération pour toi ; ta douloureuse expérience le faisant peut-être tomber dans un clair-obscur qui deviendra de plus en plus énigmatique après sa Judith et son Holopherne réalisé un an après ta mort.

Terribles ont été tes tortures infligées en cette année 1598 ; des jours et des jours de soumissions, mais aucunes n’ont été de nature à te faire avouer ton parricide, jusqu’à ce que la pitié pour tes frères accusés ne délivrent quelques paroles de vérité.

Un profond silence accompagna les ultimes gestes de ta dernière scène, un soulèvement sourd envahit la foule quand tu t’approchas lentement du moignon, y plaças ta tête et ôtas le voile de ton cou, attendant le coup sans retour. Et maintenant que ta sépulture toujours couverte de roses a été vandalisée par les troupes françaises de Napoléon, on vit de souvenirs, on frisonne presque devant ton visage, se rappelant le mélange terrible qui exista entre ce que la nature avait de plus frais et tendre et ce que la douleur avait de plus brûlant et de plus noir.

Ta mémoire, tes dernières paroles, « liez ce corps, mais dépêchez-vous de dissoudre cette âme qui doit atteindre l’immortalité », affligent de remords et de pénibles souffrances une fois arrivé devant ta figure d’enfant à peine nubile. Parée pour la mort avec la coquetterie sinistre d’un blanc vêtement que tu préparas de tes mains, de ce châle blanc que tu as enroulé en turban autour de ta tête, et que tu retiras avant la décollation, ta toilette de mort s’harmonise avec le plus épais des nuages qui t’enveloppe.

Ta bouche voudrait s’ouvrir pour parler, mais elle n’ose ; mais point n’est besoin de toutes ces révélations, car les traits de ton visage expriment une éloquence navrante ; et tes yeux, rougis des larmes corrosives dont ils sont brûlés, disent qu’au-dedans de ta chair qui va bientôt être fauchée règne une âme qui succombe sous le poids d’un secret. Hélas, ce n’est pas la mort future qui t’arrache ces larmes, car tu l’embrasses volontiers, et l’embrasserait plus joyeusement encore, si elle devait te délivrer de ce poids intérieur. Non ! ce qui émeut si exceptionnellement devant ton portait, ce qui émeut presque jusqu’à la souffrance dans ces coloris gris-bleutés qui couvrent ton visage et ton linceuil, c’est que la douleur, et la nature de celle-ci, dépassent tout ce que les ressources donnent de force à ton âge ; un âge où rien n’est prévu et préparé que pour l’enjouement, le développement heureux de l’être, la riante espérance de la vie…