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LE LAC TRASIMENE

LE LAC TRASIMENE

col du Lautaret

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LE LAC TRASIMENE
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LE LAC TRASIMENE

 

Le lac Trasimène

 

 

 

Vingt-deux heures de voyage, de routes en lacets et encombrées pour enfin parvenir au départ d’un périple qui, depuis, a constitué ma plus belle épopée dans le pays transalpin comme on dit si bien de ce côté-ci du versant occidental de la chaîne mésozoïque.

Vingt-deux heures de joies pressenties, d’humeurs vagabondes, attisées par le plaisir de retrouver ce pays considéré comme une seconde patrie. Le ciel embouteillé de ce mois de juillet précipite ma fuite vers cette contrée chérie, bénie plusieurs fois par les bienfaits de l’histoire et de l’art, et avec célérité je franchis une grande partie de notre territoire pour rejoindre les routes sinueuses du col du Lautaret. Déjà le plafond bas accompagnant mon parcours depuis le départ semble se dissiper sous les assauts d’un soleil estival impatient de trouer cet obstacle qui entrave son passage. Puis vient Briançon, sa forteresse au loin, à l’écart de la ville récente, jusqu’au moment de glisser lentement sur la rampe maintenant devenue habituelle qui doit m’entraîner jusqu’au pied de la Sacra di San Michele, puis à Torino, et vers la large plaine padane.

J’active mon allure. Mu par le désir de ce que le pays de Dante et Pétrarque a de nouveau à m’offrir, je double des files interminables de camions, rudes lots de presque toutes les routes italiennes ; encore des travaux, comme les fois précédentes ; encore quelques-uns de ces passages de deux à une seule voie où il est bon de prendre ses précautions, les autochtones, pour la plupart, ne connaissant dans leurs fascicules de conduite que l’accélérateur et le freinage express une fois à l’arrière du véhicule les devançant. Mais rien ni fait, rien n’entame mon humeur sereine, pleine d’espoirs et de fantaisies à l’idée de découvrir et de confronter mes connaissances acquises durant une année entière face aux paysages et patrimoines susceptibles de s’offrir.

Puis arrive vingt-et-une heures. La nuit tombe. Un garagiste peu précautionneux a eu la désagréable initiative de me transmettre un véhicule sans phares du côté gauche, et je prends soin de faire une halte salvatrice une fois passée Parme. Quelques heures allongées à l’arrière de la voiture sur une aire d’autoroute, un expresso corsé avalé pour ragaillardir les pensées, et la route reprend, pleine d’embuches, pleines de surprises suite à des travaux sur l’autoroute vers Florence et au-delà Rome. Par cette nuit sans lune, obligé de quitter la voie prédéfinie, perdu dans les méandres de routes secondaires, lesquelles d’ailleurs ravivent à ma mémoire le fait que l’Italie est principalement un pays de montagnes, j’arpente des petits cols, je dévale des pentes abruptes à la recherche de l’itinéraire le plus conforme pour me conduire à ma première étape. Or ! Pur hasard ! alors que j’apporte un soin particulier à ne pas entrer en confrontation directe avec la faune qui pullule dans cette région bosselée de la Toscane, une longue pente sinueuse m’achemine jusqu’à Fiesole, magnifique belvédère sur la cité des Médicis illuminée de mille feux. Le point sublime est remarquable, il impose un arrêt, depuis lequel j’entrevois distinctement le duomo et une partie de la ville endormie. Je l’avoue, un bref laps de temps l’envie titille de côtoyer la cité que je ne connais point encore ; mais l’impréparation, la volonté de goûter celle-ci plus tard, qu’une fois empli de certitudes, effacent ce doux désir et me font fuir précipitamment les lieux jusqu’à retrouver la voie rapide destinée à atteindre la Cité Eternelle.

Cependant, là-bas n’est pas le but de ma visite ; il s’arrête en chemin, il va vers l’Orient, vers l’Ombrie, vers la jadis Etrurie, vers les précurseurs, les Fra Angelico, Pietro Vanucci, Pierro della Franscesca, Giotto et compagnie, autant d’aides nécessaires pour apprivoiser davantage la verve du Sanzio.

Six heures trente du matin. Castiglione del Lago… C’est avec bonheur que j’ai quitté les myriades de touristes qui ont envahi l’heureuse Italie pour effectuer leurs parcours classiques entre Rome et Florence. En cette aube, aucun de ces curieux attirés par la réputation de Pérouse et Assise ne s’est détourné du chemin battu par les autres estivants, tous captivés comme des aimants par les tropismes de la cité toscane et du Latium. Et pourtant… Sur une mer intérieure en miniature, les îles Polseve, Maggiore et Minore, s’élèvent soudain telles des corbeilles de feuillages toujours verts sur la nappe azurée du lac Trasimène. Ici, alors que j’aborde le pied de la table étirée qui supporte la physionomie médiévale du borgo de Castiglione, une partie de l’Histoire se présente sur ce fond monochrome duquel s’échappe le scintillant de quelques reflets lumineux.

Aussi les premiers attraits ne vont-ils pas pour la petite ville assise sur son promontoire ; laquelle, sa forteresse en saillie rehaussée de fûts cylindriques, sa ceinture de murailles pareille aux sabords d’un navire, l’assimilent presque à un immense vaisseau prêt à basculer de son haut dans les eaux calmes du bassin aquatique. Non ! une fois atteint l’extrémité d’un embarcadère, les regards sont pour les alentours, pour ce périmètre de soixante kilomètres, pour ce relief légèrement ondulé, qui masque à peine en arrière-plan des sommets plus affirmés.

Je pourrai, comme le fils du Magnifique, le pape Léon X, m’exercer aux plaisirs de la pêche, prendre quelques lasche et anguilles du lac réputées pour la délicatesse de leurs chairs, mais avant même ma venue, les récits de Polybe, la description de Tite-Live, les alexandrins de Silius, ont aiguisé si fortement mon imagination que je scrute fiévreusement les rivages plus ou moins abandonnés.

L’Italie a la particularité qu’il n’y a presque aucun endroit, pas un pas qui ne s’effectue, sans qu’un bout de la lente progression qui nous a extrait de la condition primitive vers les hauts niveaux de développement d’aujourd’hui, ne s’affichent ou se cachent quelque part. Et ici, en aplomb de la nappe unie qui remplit le paysage, je côtoie la figure d’Hannibal, laquelle se dresse impressionnante et énigmatique sur les rebords des eaux bleues, vertes ou blanches, selon les humeurs du soleil. Dans un conflit semblable à la guerre de Troie, un choc identique à celui qui amena l’écrasement des Huns à Chalons, des Tang à Talas, un duel opposa les Carthaginois aux Romains en deux-cent-sept avant notre ère sur un contrefort septentrional du lac.

Passé les Pyrénées, franchi la barrière des Alpes, gagné la première grande bataille de la Trebbia, le fils d’Amilcar s’avança inexorablement vers Rome jusqu’à atteindre les rivages du plan d’eau où la nymphe Agylle, enflammée d’amour pour le jeune Trasimène, l’entraîna dans l’onde, pour que le réceptacle devienne à jamais le voluptueux hyménée du fils de Tyrrhène.

Comme un vent violent descendant des montagnes voisines, malgré les consuls Cneus Servilius et Caius Flaminius positionnés respectivement à Rimini et Arezzo pour lui bloquer le passage, le Carthaginois fit route vers le Capitole, laissa l’armée romaine à Arezzo, la tourna, la dépassa même, se dirigea délibérément vers Cortone. Perplexe, Caius Flaminius, le consul qui donna son nom à une des grandes voies romaines, s’imposa donc une marche forcée jusqu’aux abords du lac pour servir d’entrave. Hélas pour le général et ses hommes, quand ils arrivèrent, la nuit tombait déjà, et nul parmi les éclaireurs ne put reconnaître les lieux où ils décidèrent de camper… Le lendemain matin, baignés par un de ces épais brouillards si fréquents dans la plaine, ils ne purent deviner que depuis les hauteurs dégagées les Carthaginois les observaient comme des futures proies. Puis les Phéniciens accoururent. Et c’est par leurs cris de charge qui retentirent, bien plus que par la vue de leurs ennemis, que les légions reconnurent le piège dans lequel elles étaient tombées. Malgré l’intrépidité de Caius Flaminius, malgré tous les courages, sa cuirasse brillante tomba bientôt sous le coup des lances adversaires ; sa chute étant vécue comme un hallali, abattant les dernières témérités, donnant le signal de la déroute et de la débandade.

Ainsi, en ces premières heures de mon voyage outre-Alpes, sur ce site ouvert dominé seulement par des collines s’inclinant doucement à l’approche de ces eaux calmes, pour satisfaire également une promesse que je m’étais faite, mes pensées vont vers le souvenir de torrents grossis par le sang de seize mille romains qui succombèrent, semant sur ces rebords lacustres leurs débris semblables à une forêt abattue par une tempête implacable…

 

Suivant : Castiglione del Lago