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Chapelle Contarelli (1) / Caravaggio

Chapelle Contarelli (1) / Caravaggio

La chapelle Contarelli, dans l'église Saint-Louis des Français à Rome. Trois tableaux de Caravage sont exposés là, in situ.

La chapelle Contarelli, dans l'église Saint-Louis des Français à Rome. Trois tableaux de Caravage sont exposés là, in situ.

Chapelle Contarelli (1) / Caravaggio
La Vocation de saint Matthieu, Caravage, 1599-1600, huile sur toile de 322 x 340 cm

La Vocation de saint Matthieu, Caravage, 1599-1600, huile sur toile de 322 x 340 cm

Chapelle Contarelli (1) / Caravaggio
Chapelle Contarelli (1) / Caravaggio
Chapelle Contarelli (1) / Caravaggio
Chapelle Contarelli (1) / Caravaggio

 

Chapelle Contarelli / Caravaggio

 

 

 

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Un étrange naturalisme se dégage de la chapelle Contarelli... D’abord, à la façon des sculpteurs hellénistiques, le pathétique envahit la scène, il dévoile une interprétation un peu littérale de faits sacrés aussi. De plus en plus profonds et novateurs, sous l’effet d’une lumière claire et transparente, les ressorts mentaux des individus se matérialisent, voilés au début, à l’image de légers craquements entendus dans un silence. Insignifiantes parfois, affirmées avec fracas ailleurs, les acteurs extirpent leurs émotions sous une clarté incandescente, dans une lumière propagée au sein de pièces cloisonnées, identique à un jour qui s’insinue tel un souffle, et parvient à déchirer le voile d’une chambre noire.

Mais qui sont ces hommes peints par Caravaggio ? D’où vient le modèle de ce saint, espiègle joueur, puis à genoux, devenu écrivain, avant qu’il ne se commue en martyr sous les mains d’un bourreau près à l’occire ?

On s’interroge...

S’agit-il de rencontres fortuites faites dans la rue ? Pire, de mauvais garçons croisés dans une auberge malfamée ? Pris un par un, méritaient-ils l’honneur d’être accueillis dans le catalogue des sujets autorisés ?…

Sans fondement, les questions s’enchaînent. Puis las du fastidieux interrogatoire, après tout, tranche-t-on, pourquoi le sacré ne serait-il être que des histoires, des illustrations d’hommes vénérables...

Même si la part des mendiants, haves et défroqués, qui lui ont servis de supports, ne sera jamais révélée, à n’en pas douter, la contestation de ces présupposés fut un stimulus pour Caravaggio. Placé d’abord ici, son premier Saint Mathieu et l’ange plut à l’époque médiocrement. Trop libre dans ses premières méditations sur le thème du sacré, son manque d’exigence iconographique pour un tableau promis à la vénération, déclenchèrent une polémique sarcastique, le plongeant désespérément dans l’embarras. Si peu de considérations évangéliques pour un apôtre, on lui reprocha. Si peu soucieux que Mathieu fut aguerri à l’écriture et au calcul, collectant l’impôt, il eut le tord de le représenter en homme simple, analphabète presque, sa plume tenue par la main d’un ange insolent enveloppé dans un drap retombant comme une traîne.

On décrocha son huile. Une toile disparue depuis sous les bombes qui brisèrent son destin, à Berlin, en 1945… Mais Caravaggio était d’une nature combattive à plus d’un titre ; et, résolu à réussir, animé par la volonté de quitter définitivement la misère qui faisait son quotidien, comme sous le joug d’une réaction épidermique, il commença à ragaillardir ses ombres. C’est ainsi que débuta sa mutation qui fit son chemin, sa gloire à l’époque, reconnue encore aujourd’hui…

Néanmoins, l’esprit conscient du risque de retomber dans l’apologie du corps humain, déjà sublimé par Raffaello et Buonarroti ; de tendre vers un clair-obscur mélodramatique à la façon de Tintoreto ; l’illumination fut non moins de jouer sur le relief des corps que sur la forme des ténèbres qui interrompaient ceux-ci. L’histoire du sacré lui apparut désormais être comme une suite de drames brefs, dont l’acmé ne pouvait s’attarder sur la durée sentimentale d’une narration. La lumière sera le révélateur des déchirures inintelligibles de l’ombre et des hommes ; ce fut là son parti pris ; et sous un mélange vigoureux et dramatique d’ombres et de lumières, il commença à broyer les chairs et les émotions humaines.

Presque néophyte dans sa nouvelle façon de faire ; à tâtons ; dans le dédale d’une prolifique intuition que le labeur peinait à concrétiser, la Vocation de saint Mathieu servit de premier essai à cette impulsion mentale qui deviendra évidente par la suite. Représentée à la façon d’une scène de joueurs de hasard, et en lien avec quelques-unes de ses exécutions antérieures, la vie quotidienne se mêle aux canons ecclésiastiques sous le développement d’une tablée de joueurs surprise par l’apparition d’un Christ, relégué à une iconographie complémentaire, sa présence seulement révélée par le souffle d’une lumière rasante pénétrant dans la grande salle avec lui.

Par couches successives, la répartition entre lumière et ombre se dissipe, ou s’intensifie, selon l’importance fatale de l’événement symbolique. Mathieu, publicain, changeur de monnaie, rien n’interdisait de le travestir en un joueur, se désignant lui-même, doublant la mise aussi, vêtu d’un drapé historique, tandis que plié sur la table, en costume moderne, un autre joueur compte sa mise et stoppe la propagation du faisceau impromptu selon lui.

Dans ce lieu où l’on s’échange l’argent, les compagnons de fortune sont distraits par l’intervention. La lumière ? Le Christ ? On reste circonspect autant qu’eux. On suit la marque laissée par l’éclairage dans cet univers caverneux…

Sur la grande fenêtre, le faisceau lumineux pose de faibles reflets sur la sordide croisée et suspend dans l’air pesant la main du Messie copiée sur Buonarroti. L’ombre creuse son regard profond. Elle brise la lumière sur un volet non rabattu ; elle effleure les plumes, se dissout dans les visages, se reflète sur les soieries de ces mauvais joueurs, s’arrête sur Mathieu.

Tout est dit ! Depuis Raffaello, il est vrai dans un autre style, jamais la rhétorique n’avait su aussi bien s’unir à la plastique. Le jeu lumineux, si proche de l’enfant épileptique de la Transfiguration ; les couleurs sans vie, si loin de celles du natif d’Urbino ; la lueur a quitté les hommes, absorbée par une huile bitumeuse, gluante texture qui suinte lentement sur chacun des protagonistes jusqu’à libérer les émotions les plus recluses en chacun d'eux…

 

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