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Interlude au pied des Alpes Apuanes

Interlude au pied des Alpes Apuanes

Il est des lieux qui retiennent plus d'autres... Les Alpes Apuanes, au nord-ouest de la Toscane, au sud-est de la Ligurie. Appartenant au complexe morphologique des sous-Apennins toscanes, l'appellation "Alpes" vient du relief accidenté et incisé

Il est des lieux qui retiennent plus d'autres... Les Alpes Apuanes, au nord-ouest de la Toscane, au sud-est de la Ligurie. Appartenant au complexe morphologique des sous-Apennins toscanes, l'appellation "Alpes" vient du relief accidenté et incisé

Interlude au pied des Alpes Apuanes
Castelnuovo Magra qui embrasse le panorama de la plaine de Luna à ses pieds.

Castelnuovo Magra qui embrasse le panorama de la plaine de Luna à ses pieds.

Interlude au pied des Alpes Apuanes
L'histoire présente à chaque pas en Italie, en ce château l'évêque de Luni et le marquis Malaspina (régnant sur une part de la Toscane aux 13e et 14e siècles), y signèrent un accord de paix en présence de Dante Alighieri

L'histoire présente à chaque pas en Italie, en ce château l'évêque de Luni et le marquis Malaspina (régnant sur une part de la Toscane aux 13e et 14e siècles), y signèrent un accord de paix en présence de Dante Alighieri

Un autre atout de ce borgo est la présence d'une œuvre de Peter Brueghel, "La montée au calvaire". Hélas impossible à voir en raison de la vingtaine de secousses ayant eu lieu dans la région de Siena, et qui ont entraîné la fermeture de la chiesa maggiore

Un autre atout de ce borgo est la présence d'une œuvre de Peter Brueghel, "La montée au calvaire". Hélas impossible à voir en raison de la vingtaine de secousses ayant eu lieu dans la région de Siena, et qui ont entraîné la fermeture de la chiesa maggiore

La forteresse de Sarzanello

La forteresse de Sarzanello

Vue des Alpes Apuanes et de Castelnuovo Magra depuis la forteresse de Sarzanello

Vue des Alpes Apuanes et de Castelnuovo Magra depuis la forteresse de Sarzanello

Interlude au pied des Alpes Apuanes
Interlude au pied des Alpes Apuanes

 

Interlude au pied des Alpes Apuanes

 

 

Précédent : Luna, la cité en marbres

 

Lunae Montes, les Montagnes de la Lune… Je crois que Strabon l’appelait ainsi ce relief allongé qui domine la plaine de Luna, et lequel, si on active l’imaginaire, jaillit du vide subitement. Bout de territoire de la Botte, petite portion de l’espace terrestre, pas grand-chose, filant sur une vingtaine de kilomètres du Sud au Nord, terrain en accidents, il est ignoré par les touristes parce que trop près de Pise et Florence. Relégué au second rang, pourtant quand on le voit pour la première fois, sa franche érection est une incongruité, et on s’interroge sur les raisons de sa localisation, surpris même par ses névés. Un œil sur la pendule, l’autre vers le paysage, un emploi du temps surchargé, la liste de beautés à devoir observer en main, toute latitude absente, l’amertume lisible sur le visage, on ne s’accorde aucune autonomie susceptible de dévier de la trajectoire intiale. On poursuit donc… On maugrée presque. Mais on prolonge sa logique, car le privilège de la durée est seulement réservé à l’autochtonie. Déçu, la peine du renoncement s’échappe à travers une pensée fugace, une promesse… le hasard peut-être ?… un retour possible sur ces terres vierges de nos connaissances ?… Quand ?... Bref, on s’entrouve une porte sur le futur, s’assurant avec volonté que l’on bifurquera alors vers ce lieu aux attribus agréables.

Depuis ce passage initial, l’image des montagnes est revenue souvent. Sans être une obsession, aujourd’hui, à Luna et son ancien port, on entrevoit enfin l’opportunité d’y réaliser la halte souhaitée. Opportunité trop belle, la feuille de route pour partie lacunaire, on se décide, s’enfonce, s’approche des monts… Devant le grandiose spectacle de la nature qui se développe au gré d’une distance raccourcie entre elle et moi, on songe que cela n’a pas été une erreur que de vouloir uniquement se contenter de souvenirs. Le site est beau. La topographie en est insolite. Elle a quelque chose de la Cerdagne et du Capcir avec ses neiges éternelles, avec la mer qui la borde de son onde émeraude. La mémoire trouve néanmoins peu de géographies tout à fait comparables ; le Canigou ?, trop seul, trop en retrait, pas assez longitudinal à la côte, la plaine de Rivesaltes et cette partie du Roussillon ne diffusent pas une douceur équivalente. Peut-être la Vénétie ? Et encore !

D’une grandeur gaie et au demeurant accueillante, les bords échancrés, dressés telles des murailles, et parce qu’on a appris que l’espace conditionne pour partie les occupations humaines, on sent, insondables accumulations d’un territoire que révèle l’intuition, qu’ouvert à l’image d’une gouttière, aussi couloir de circulation naturel entre la terre et la mer, quelques arrhes de l’histoire de la Péninsule s’y sont joués. Et de fait, parce qu’élève consciencieux qui a anticipé l’examen, curieux d’abord, toujours avide d’en savoir davantage sur la civilisation qui a grandi en ce pays, on s’éclaire la mémoire de l’obscure destinée du peuple Ligure, lequel gîta là…

On a lu. Parfois on a cherché en désespéré. On a butté sur les limites de la gnose, l’oubli, les résidus de cette antique civilisation trop épars. Et de tout cet amalgame, sans en retenir les sources exactes, on a compris que Neandertal a fréquenté les lieux, que le Néolithique a planté des statues-menhirs proches de celles du Rougier de Camarès, que les racines Ligures, accrues chaque année en distance, ont ramifié en pousses secondaires, procédées par reproduction, marcottées, au point de développer une tige, un rameau, que le vernaculaire nomme le peuple Apuans. Une population en but aux désirs de puissance de la Rome sanglante, laquelle mena une guerre de treize ans contre-elle ; une lutte à la conclusion terrible ; celle d’un déracinement, d’une déportation obligée pour quarante-mille d’entre-eux. Mais n’allons point avec trop de célérités. Freinons. Muons-nous en mercier, et activons le rouet de nos intentions pour tourner le regard vers les rives du troisième siècle avant notre ère, époque où Carthage régnait en maître sur la Méditerranée occidentale, ère où les suffetes distillaient de précieux conseils stratégiques depuis la Tunisie actuelle…

La situation est donc celle des guerres dites puniques. Les Ligures alors, au début de cette histoire, étaient une population divisée entre diverses tribus unies en une confédération. On avait les Frinati, dans la région de Parme, les Tigulli, installés vers la frontière française actuelle, et les Apuans ici. Rapides, tombant sur les légions à l’improviste, les Ligures, fiers de leur indépendance, défenseurs tenaces de leurs terres, commencèrent à en découdre avec les Romains vers moins 238. C’est Tite-Live qui raconte cela… Protégés derrière leur montagne impénétrable, les Apuans se tenaient à l’écart de ces escarmouches, Rome s’intéressant guère à leurs vallées, tandis que d’autres tribus ligures s’opposaient aux volontés hégémoniques de la cité de Romulus. Puis, osons la métaphore, si on dévide la pelote du temps, la fin de la deuxième guerre punique constitua une rupture dans cette histoire jusqu’ici pacifique. Oh ! Bien sûr, quelques démêlés avaient existé par le passé entre les Apuans et les Etrusques plus au Sud, à propos de Pise, devenue puissance terrestre par le biais de la grande voie de communication vers Piacenza et le Pô, plus tard appelée via Aemilia, d’autant que les adorateurs de Charun avaient perdu leur suprématie maritime depuis une défaite face aux Phocéens au large d’Atalia. Mais plus important, parce que décisif pour l’avenir, la volonté des Romains de s’implanter sur toute la côte Tyrrhénienne jusqu’au port de Luna, à l’embouchure de la Magra, constitua une césure irréversible. L’emporium très actif sur le plan commercial, exportant le marbre de Carrare, sur le plan militaire également, atteint rapidement une place fondamentale pour la République. Les Apuans, d’abord timides et réticents, s’inquiétèrent de tous ces mouvements, et à la préoccupation succéda bientôt la défiance lorsque le consul Caton stationna dans le port de la Lune vingt-cinq navires destinés à acheminer des troupes vers la péninsule ibérique.

Assez distants des sempiternelles prédispositions guerrières d’autres peuples Ligures, pourtant pensés en commun par les Romains, qualifiaient d’hommes plutôt guerriers qu’agriculteurs par Strabon, les fils d’Enée voyaient en eux un potentiel humain qu’il était sage de soustraire aux autres puissances, notamment aux rivaux abhorrés, les Carthaginois. Un service de guerre si on préfère, des auxiliaires, qu’ils sont allés chercher par une mainmise sur ce territoire facile, la vallée de Luna. Métamorphose… Les rapports, déjà ambigus entre la République et les Apuans, commuèrent alors en affrontements. Tout débuta en moins 193. Une attaque. Vingt-mille Apuans rebelles envahirent la plaine de Luna, se répandant jusqu’à Piacenza et Pise. Victoires, défaites, retraites, avancées plus ou moins significatives, aléas auxquels la guerre se prête… L’année 180 fut l’étape dernière de ces relations belliqueuses. Et parce que fort de trente-cinq-mille-huit-cents hommes, à quoi s’ajoutaient trois armées gravitant autour du territoire apuan, prêtent à intervenir, les Romains triomphèrent. Une victoire pour l’un des consuls Emilio Lepido, futur fondateur de Luna, et le Sénat, inquiet de soubresauts à venir, qui prit la décision sensationnelle et indigne de déporter quarante-mille chefs de familles, avec femmes et enfants, dans le Sannio, une région méridionale de la Péninsule, mettant fin à l’histoire de ce peuple montagnard perdu depuis dans les limbes du temps…

 

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