Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
SPAGGIA
SPAGGIA
Menu
Les souterrains de Naples

Les souterrains de Naples

Les souterrains de Naples
Les souterrains de Naples
Les souterrains de Naples
Les souterrains de Naples
Les souterrains de Naples
Les souterrains de Naples
Les souterrains de Naples
Les souterrains de Naples
Les souterrains de Naples
Les souterrains de Naples
Les souterrains de Naples
Les souterrains de Naples
Les souterrains de Naples
Les souterrains de Naples

 

Les souterrains de Naples

 

 

Précédent : Fragments de grécité

 

- Viens voir cette caverne, comme elle est humble et primitive.

- Je sais, tu as de jolies paroles guide. Mais tu ne me séduiras point si facilement.

Tu as bâti ici, tu as créé un domaine, et comme la chance te favorise, que les mœurs changent, que les étrangers en quête d’émotions différentes de celles habituelles vont vers l’insolite, je ne doute pas que tu en trouveras aptes à répondre à tes attentes sur fond de numéraires.

Mais examinons d’abord les environs avant que je ne réponde à tes envies.

La via dei Tribunali juste là ? Bien.

Ce decumanus maggiore qui se distingue et trace en ligne droite vers le septentrion où un puech mamelonne tel un récif et émerge sur les flots d’une mer d’habitations. Bien.

L’environnement est plaisant, je te l’accorde.

Mais cela ne suffit point. La connaissance un formidable marchepied pour envisager la montée sur un degré supplémentaire, j’ai déjà étudié ce que tu me proposes.

Loue-moi donc ces entrailles, que je sache si, au-delà de la gnose, elles méritent ma présence.

- Le tuf est jaune dans ces tréfonds.

- Soit.

- Naples se situe sur une dépression structurelle et est entourée d’une zone d’intense activité volcanique qui mène aux Champs Phlégréens.

- Je sais cela déjà. C’est là l’un des objets de ma présence à Naples aujourd’hui. Que peux-tu me dire de plus et encore ?

- L’activité volcanique des Champs Phlégréens a commencé il y a environ 150 000 années, et les derniers épisodes éruptifs, avant ceux qui nous menacent aujourd’hui, se sont produits en 1301 à Ischia et en 1538 à Pozzuoli, avec la formation du monte Nuovo. Savais-tu cela ?

- Non, je l’ignorai. Tu commences à éveiller ma curiosité. Poursuit que je vois jusqu’où tu peux aller et ainsi titiller mon appétit de savoirs.

- A la suite de cette activité, les tufs jaunes qui forment le sol de Naples se sont stratifiés, et se sont superposés à d’autres qui existaient auparavant. Cette roche, résultat des dégazages rapides des coulées pyroclastiques, a une capacité extraordinaire d’isolation thermique et de contrôle de l’humidité.

- Ah oui ! Dit donc, tu m’intéresses de plus en plus. Et cela a-t-il une incidence sur les souterrains que tu désires me faire visiter ?

- Oui, bien sûr. Figure-toi que la masse rocheuse ainsi formée, intégrant des zéolithes, ces derniers possèdent la capacité d’absorber ou de libérer des molécules d’eau qui rendent le tuf froid pendant les périodes chaudes et chaud pendant les périodes froides.

- Mais que voilà une bien agréable chimie. Pourtant, un pertuis classique possède des propriétés assez semblables. Que peux-tu me dire sur l’histoire de ces lieux que tu tiens tant à me faire découvrir ?

- Avant que de te répondre, et car je soupçonne ton esprit plus fait pour comprendre que d’apprendre, laisse-moi un instant te parler de cette cité poreuse telle que La Capria en a parlé.

- Ah lui je le connais. Mais excuse-moi pour cette incise. Prolonge ton propos s’il te plaît, et explique-moi les attributs de cette énigmatique porosité.

- En fait, on pourrait dire qu’une communication verticale caractérise l’architecture de la ville, laquelle relie sa couche chtonique et souterraine à celle haute et lumineuse. Pour que tu comprennes mieux, si on traçait une section idéale, on a un bâtiment, un puits dans sa cour et une carrière en contrebas.

C’est que, vois-tu, Naples regorge de sites souterrains. Son sous-sol est riche de plus de 900 cavités pour une superficie de 60 hectares et un volume de 8 millions de mètres cubes. La plupart sont des cavités artificielles ; des anciennes carrières liées à l’extraction du tuf, des tombeaux hellénistiques et hypogées nobiliaires, des aqueducs souterrains aménagés dès l’époque romaine, des catacombes de premiers chrétiens et lieux de sépultures…

- Hormis les proportions considérables, je ne vois rien de nouveaux à ce que je connaissais jusque-là. Il me semble que cette richesse longtemps oubliée a été seulement mise en valeur durant le XVIIème siècle, lors de l’élaboration d’un Grand Tour qui n’a fait que reprendre les us des vieux Romains tel qu’on l’a subodoré dans l’article précédent. Ce qui m’inquiète, que je soupçonne devrai-je plutôt dire, c’est que ton discours s’inscrive dans ce phénomène global de massification et d’extension des flux touristiques qui veut qu’une individualisation croissante des pratiques fasse qu’on aille vers des lieux a priori jugés insolites, mais dont l’a posteriori se révèle fade et laisse un goût amer à un porte-monnaie au regard du prix que tu me réclames.

- C’est vrai, tu as raison quant à quelques aspects. Je ne peux nier que le touriste dit urbain, et a priori plus informé, a évolué dans ses comportements et recherche des lieux dits « autres ». En général, il est en quête de nouveaux espaces, investit de nouvelles zones intra-muros ou des quartiers périphériques.

Nous, ici, on répond à ce désir de dépaysement. On étonne par un caractère inaccoutumé, utilise l’idée d’une étrangeté, le mot pouvant être entendu via sa connotation laudative, c’est-à-dire qu’il surprend par sa rareté et sa nouveauté.

- J’entends. Mais quid de mon stimulus pour que je réponde positivement à ta requête initiale ? J’ai vu les Latomies à Siracusa, des catacombes lombardes à Bolsena, des hypogées étrusques en Toscane, que peux-tu m’apporter que je ne possède déjà ?

- L’humidité.

- Quoi l’humidité ?

- Dans les entrailles de Naples, la respiration s’accélère ou se ralentit selon le degré de claustrophobie dont on s’estime victime. En bas, tandis que les viscères à l’air libre de la ville digèrent les escouades de touristes, tu trouveras des rhizomes de tranchées et de cavités uniques, des mètres cubes de vide à faire pâlir Rome qui, pourtant, en prolifère. Si Naples gronde en haut, en bas les abysses la dévorent, et un dédale urbain existe tout autant que dans le chaos citadin qui gouverne la cité en général. Tu te sentiras comme dans un terrier. Un terrier où tu marcheras sur des millénaires de sédiments, des fossiles, le tout éclairé par les rondeurs de néons aux halos fantasmagoriques. Car, vois-tu, c’est autour du VIème siècle avant notre ère que les Grecs, quand ils refondèrent Paleopolis en Neapolis, commencèrent à extraire le tuf nécessaire, creusant, excavant, le tout pour se bâtir des maisons, des agoras et des arènes. Plus tard, on en arrive à l’humidité, les Romains y ont forés un aqueduc. Ils ont transformé les grottes en citernes, construits un réseau d’eau potable jusqu’à Herculanum et Pompéi, long de 70 kilomètres et prenant ses eaux dans le fleuve Serino. Prouesse d’ingénierie, cet énorme réseau de canalisations et de puits serpente toujours sous toute la ville.

Dans ce dédale tu traverseras des boyaux si affiliés au tuf, que de seul ton profil pourra t’en ouvrir le passage. Des corridors sombres, étroits ; étroits et noirs, qu’à la lampe tu devras traverser avec la crainte que ta chandelle ne tousse et ne t’abandonne. Un enfer. Mais un paradis également. Un bassin artificiel aux eaux aussi claires que dans le gouffre de Padirac. Et l’eau. Qui coule. Dont on se surprend à découvrir le ruissellement, qui ondule comme une houle. Un ravissement, un frémissement hébergé au creux de galeries dont on ne saisit jamais véritablement les exactes dimensions.

Puis tu apprendras qu’en 1615, certains édits interdisant l’introduction de matériaux de construction dans la ville, pour tenter de limiter le nombre exorbitant d’habitants, les néo-Napolitains eurent recours à ces carrières de tufs pour en ôter de nouveaux matériaux, les évidant, les élargissant de facto. Agrandies, avec encore plus de puits et de citernes, des hommes furent chargés de l’entretien de ces aqueducs. Les puzzari. Des hommes très minces, très agiles, car il fallait pouvoir cheminer facilement dans ces tunnels étroits, descendre de hauteurs vertigineuses à travers des puits creusés à la surface.

Puis tu découvriras qu’une grave épidémie de choléra, en 1884, fit que l’eau de l’aqueduc fut déclarée insalubre et que les cavités tombant en désuétude, oubliées, devenues de vraies décharges pour matériaux, on leur retrouva une utilité lorsque la ville fut lourdement bombardée au cours de la Seconde Guerre mondiale. Des abris, des intestins de la ville qu’en spéléologue improvisé, et si tu le désires, je te propose de visiter. Qu’en dis-tu ?…