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La rue des livres

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Via Port’Alba

 

 

Précédent : Piazza Dante

 

 

Naples, on l’aime ou on la déteste, il n’y a pas de juste milieu disent les Napolitains.

Nos sentiments plus complexes envers elle, disons plutôt que malgré son passé hellène l’enkrateria ne semble pas être sa vertu cardinale.

La modération difficile quand on l’aborde et la traverse, l’eau et le feu s’y côtoient sans nuances, sans de douces transitions qu’aime l’œil, et qui vous permettent de passer en toute quiétude du clair à l’ombre la plus ténébreuse.

La pauvreté, la magnificence. Le vrai, le faux. Ils se dévisagent, s’apostrophent ou s’ignorent. Et les clichés ayant la vie longue à propos de cette cité raillée et ciblée, Naples offre des trésors au milieu d’une décadence due à l’immense destruction générée par la Seconde Guerre mondiale, mais aussi par le tremblement de terre du 23 novembre 1980.

La norme qui voudrait que l’on visite une ville uniquement pour ses monuments anciens ne peut être appliquée ici. Urbs original, elle est tout autant fruit d’une production autochtone que de représentations exogènes, et si son attrait réside dans son site, son environnement, également dans son territoire subjectivé, à plus forte raison le caractère hétérodoxe du peuple qui y fourmille fait sa singularité.

Qu’il soit gai ou taciturne, insouciant ou pensif, partout ce dernier déploie une activité en accélérée dont on ne sait si elle est toujours industrieuse. S’il jouit d’un beau ciel, il se rassemble. Et passé maître en pantomime, il exprime par le jeu varié de sa physionomie, des mouvements de têtes, des mobilités, tout ce qu’il sent, tout ce qu’il désire. Criard a priori par essence, le jour débute à peine qu’il vous assourdit de ses vociférations ; et, semble-t-il, pas un moyen existe de s’en soustraire, car il est partout ; sur le port, dans les rues, sur les places, dans les embrasures de maisons ; il foisonne pour tout dire.

Dans le vieux centre historique où on s’apprête à pénétrer, on le jouxte, joue des coudes avec lui. Il se baisse, on se relève. Il se révèle, on s'efface. Il garde en lui des superstitions qui le sépare des autres humanités vues ailleurs, de vieilles mœurs en usages qui, la Port’Alba franchie, s’affichent pour l’une d’entre-elle dans un parfum de pages jaunies qui ont remplacé l’arôme particulier des caroubiers de jadis. Le via dédiée aux adorateurs de la lecture, courte, praticable en à peine une minute, une sérénité aux antipodes des us du reste de la polis en émane. Lieu d’exposition de mémoires individuelles concentrées en des écrits, de coutume ces restitutions attendent sur des étals la danse de bibliothécaires en herbe autour d’elles. Mais il est trop tôt. Les premières heures du jour guères un stimulus pour les ardeurs locales, nullement déçu par ce vide, on sait que ces compagnons heureux qui vous font passer un bon moment sont conservés, momentanément, dans une remise. Sans ces présents, le regard dégarni, on songe alors aux gestes de boulimiques de savoirs qui bientôt se plongeront dans ces corps poussiéreux, ceux de lecteurs plus aguerris qui pointeront directement un index vers le manuel qu’ils auront à l’esprit. Euphorie douce et sourde. Osmose. Véhicules de début de voyages où on part explorer de nouveaux mondes et enrichir son esprit, combien seront-ils aujourd'hui à se perdre dans cette activité chimérique ? 

... Pour ce qui est des superstitions, si on se réfère aux coutumes locales, il en persiste une ; la plus enracinée, la plus ancienne ; et à laquelle indirectement on est presque confronté en se rendant à Naples. Appelée la jettatura, le mauvais génie des Napolitains, ce fléau, si l’en est un, serait lié aux chrétiens, à leurs péchés qui auraient engendré une émanation de l’esprit malin contre lequel, selon les chroniques, San Genaro et les avocati de Naples eurent à combattre depuis tant de siècles, sous peine de voir des maux incalculables fondre sur la cité. Substantif tiré du mot jettare, qui signifie jeter un sort, cette fascination, peut-être latine, s’exerce surtout par le moyen des yeux, par des personnes dominées par l’envie ou la colère, et contre laquelle, comme préservatif pour se prémunir, les habitants ont pris l’habitude d’utiliser des objets cornus ; des cornes et des cornillons, des pigments, qui se portent en bagues, en bracelets, en colliers, et dont on ne doute pas que si vous vous rendez à Naples vous trouverez quelques marchands ambulants, avertis du méfait qui vous menace, prêts à vous en présenter des échantillons afin de vous sauvegarder, le tout, bien sûr, moyennant une participation sonnante et trébuchante…