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SPAGGIA
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L'AUBRAC (2)

L'AUBRAC (2)

L'AUBRAC (2)
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L'AUBRAC (2)
draille

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L'AUBRAC (2)
L'AUBRAC (2)
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Nasbinals

Nasbinals

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Pierronnet Brioude

Pierronnet Brioude

L'AUBRAC (2)
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Aubrac

Aubrac

L'AUBRAC (2)
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L'AUBRAC (2)
L'AUBRAC (2)

 

Le pays des narcisses sauvages (2)

 

 

Précédent : L'Aubrac (1)

 

 

L’immensité de pâturages se poursuit inlassablement, émaillés de jonquilles aux mille reflets scintillants, pareilles à des boutons vermeils qui luisent sur une tenture verdâtre que l’on aurait pris soin de poser délicatement. Animés de troupeaux clairsemés, peu bruyants, encore engourdis par les derniers assauts de l’hiver, lequel, parfois, connaît une baisse de sa calorimétrie jusqu’à aborder la température glaciale de moins trente degrés centigrades, on traverse cette pampa argentine, cet infini de verdure, une mer d’herbes feutrées aux racines enchevêtrées, aux pousses toujours tordues, dont les graminées avec quelques rares légumineuses n’ont pas d’âge. Mais voici que Nasbinals dégage ses toitures veillottes, ses couvertures de lauses dominées par la masse romane de son église placée au centre du village. Le bourg, c’est un des grands carrefours du plateau, un croisement de routes plus ou moins antiques, où les randonneurs en quête d’un air pur, non vicié par les cheminées des usines qui assaillent leurs quotidiens, sont venus chercher dans ce pays enclavé une remise en forme. Il y a quelques cent-vingts ans, la petite ville a eu son heure de gloire ; par l’entremise d’un cantonnier, Pierronnet Brioude, un petasser, maître dans l’art de raccommoder les membres brisés ou luxés, dont la réputation dépassant les limites départementales, entraînait plus de dix mille clients chaque année vers la bourgade…

Hélas, ce temps de renommée n’est plus, pas plus que celui des buronniers accompagnant les troupeaux d’Aubrac sur les vastes prairies gondolées. Toujours soumis à ce climat montagnard sans sommets, des générations durant, aidés de pâtres, bédéliers, roules employés à diverses besognes, les cantalès fabriquèrent la fourme ; une production à la faible rémunération, et dont la transhumance, pratiquée avant même François Ier, reste peu connue des citadins si ce n’est par le biais de vieux reportages. Maintenant, seule l’imagination peut matérialiser les rudes campagnards qu’ils étaient ; leurs levers avant l’aube ; leurs traits harassés par les travaux journaliers, par le surplus d’une soirée vinifiée pour faciliter leurs repos. Sortant d’un buron sans confort les cernes gonflés, les yeux caillouteux d’un pollen accumulé sous leurs paupières pendant leurs sommeils, la traite nocturne les attendait. Mais que l’exercice était dur… Dans leur patois incompréhensible accroché à leurs palais, ils appelaient, nommant chacune des vaches, les attirant grâce à une poignée de sel malgré l’obscurité ; puis ils retiraient les veaux d’un enclos dressé contre les vents pour les attacher à une jambe maternelle. Malgré les soubresauts, malgré les embardées des réticents, les mères, ravies de retrouver leurs progénitures, se laissaient traire par les cantalès assis sur une sorte de tabouret à un pied. Heureux stratagème pour un animal si candide, le lait coulait dans les ferrats avant d’être transvasé dans une gerle plus grande, avant de le véhiculer jusqu’au rez-de-chaussée du buron, une pièce servant à la confection, l’autre à la conservation… C’est alors qu’entourés de murs aux plates dalles en basaltes, jaloux de leurs tours de mains, ils mélangeaient le lait encore tiède, crémeux, riche en caséines, identique à celui laissant une barre blanche d’écumes par-dessus la lèvre supérieure quand on le boit, à de la présure. Il fallait alors attendre que le caillé prenne pour retirer l’onctueux condensé à l’aide d’une puisette, pour le placer dans une faicelle, un moule en bois, formant la tome. Le jeu de la gravité, le poids d’une grosse pierre posée par-dessus l’amalgame, par la pression, ils en extrayaient un petit lait coulant dans la selle.

Mais tout cela n’est plus que des souvenirs, une vie pénible dans un isolement complet oubliée, que les touristes, qui passent et qui marchent, entrevoient à peine lors d’arrêts gastronomiques pour déguster un aligot… Ainsi, dans cette contrée exsangue et enrichie par ses légendes, il se dévoile comme une austère magnificence. Et de ces terres incultes, couvertes de marécages, revêtues çà et là de forêts, il se dégage une tristesse et une majesté ; la vision d’un plateau nu, peu habité, où le ciel est si rarement égayé par un beau jour, que tout concourt à donner à cette solitude une mélancolique grandeur qui manque aux paysages de contrées plus favorisées par la nature. C’est le calme du désert que l’on respire ici ; c’est la solennité de la mort que l’on côtoie ; comme celle qui faillit frapper Adalard au cœur du douzième siècle, celle qui le poussa à créer un hôpital à Aubrac, un monastère ouvert aux pauvres et aux infirmes pour subvenir aussi aux voyageurs égarés et effrayés comme lui par le passé. Mais tout est fini maintenant, tout est détruit de l’ancien édifice, de ses matériaux dispersés il ne reste de la création initiale que l’église et la Tour des Anglais. Un burg carré, qui domine l’étendue tel un fanal planté au milieu d’une mer calme, ses murs jaunis attestant des rudes assauts menés, de sa solidité. Seule la cloche la plus forte de l’ancienne abbatiale a aussi survécu, accompagnant la masse rassurante du fût, sonnant pour appeler les perdus quand la nuit était plus sombre que d’habitude ; quand les brouillards si fréquents, quand les rafales de neige, rendaient le passage de la forêt difficile.

Ô combien de voyageurs ont combattu ces périls ! Souvent ils s’arrêtèrent sur la route ; le danger devenant fatal, si une tourmente survenait. Malheur à ceux qui traversèrent alors les parages, racontent les histoires locales ! Aveuglés par des tourbillons de neige, atteints de cécité au-delà d’une distance de trois mètres, les traces des chemins effacés, ils n’apercevaient plus aucun point de repère... Bientôt ils s’égaraient… Tous leurs efforts vains n’aboutissaient qu’à les épuiser... Si la nuit les surprenaient, ils étaient perdus ; le froid les saisissant, la faim les dévorant, leurs sangs se glaçant. Un invisible sommeil les engourdissaient, et ils se couchaient pour ne plus se relever, succombant, victimes de l’inclémence de la région. Que d’infortunés moururent ainsi ! Et si les arbres de l’Aubrac pouvaient raconter les drames lugubres dont ils furent les témoins, sûrement diraient-ils que le plateau est une véritable nécropole…