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Minerve

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gorges du Brian

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Minerve / Hérault

 

 

Précédent : Carcassonne (6)

 

C’était en revenant de Carcassonne, une après-midi de mai, sous une chaleur accablante alors que l’été commençait à peine à embraser la région. Une route en lacets se poudrait sur les bords de particules blanches arrachées à un substrat dévêtu. La dernière agglomération déjà reléguée au passé, à perte de vue, une garrigue étirait sa face presque nue. Laissant entrevoir sa couverte blême et saillante, pas un habitant ne se manifestait. L’altitude aidant, l’atmosphère libérée par une brise lointaine, chaque virage, chaque degré supplémentaire effectué sur la raide ascension, élargissait un panorama sur les flots argentés de la Méditerranée, sur les Corbières, aux flancs dénudés masquant de leurs flancs noirâtres les pieds de cimes enneigées des Pyrénées. Sous ce grand soleil d’argent, pas une tache d’ombre n'existait pour trouver un quelconque réconfort. Si peu de souffle à présent. Plus rien. Que les vibrations d’un air chaud qui oscille sur un bitume incandescent. Une compagnie calorimétrique qui, au départ, ravissait, mais dont le surplus limitait assez vite l’amplitude des gestes sur ces premiers contreforts de la Montagne Noire.

Et puis, un silence de plomb. Tout semblait gagné par la langueur imposée par la chaleur. Seuls les cris des cigales, musiques folles, presque assourdissantes, vibraient à l’unisson de ces ondulations suffoquantes.

Dans ce désert, au milieu des thyms, des genévriers et des chênes kermesses, un groupe de maisons beiges se dégagea en surplomb de formidables accumulations de nummulites déposées à l’Eocène. C’est toujours un spectacle que de voir ces couvertures de coquilles abondantes, jadis agglutinées sur une marge océanique, s’être transformées en une pierre si indurée qui supporte chaque pas. Mais ici, à Minerve, l’essentiel était ailleurs ; il résidait dans la formidable excavation générée par les eaux tourbillonnantes du Brian et de la Cesse qui ceinturent la cité, lesquelles font ressembler le support des habitations à une Acropole méridionale. Les gorges, creusées par les eaux tumultueuses des deux rivières, ont dissocié le site du village du reste du continent, comme un radeau dont l’accès fut longtemps possible que par une entrée charretière jadis située au bas d’une candela. Une tour, unique reliquat d’un castrum médiéval, trônant tel un fanal à l’avant du vaisseau à quai, et qui rappelle les funestes jours des croisades albigeoises, de Simon de Montfort, qui vint ici en 1210 pour faire le siège de la capitale du Minervois, pour attendre patiemment que la soif abatte les courages, pour que le vicomte et ses hommes se rendent, pour que le seigneur du Nord brûle, comme un autodafé, cent-quarante récalcitrants refusant d’abjurer leur nouvelle croyance.

Le bourg, d’une trentaine de maisons, toutes posées sur le sommet du tertre, à l'image d'oisillons dans un nid confortable, conserve dans un entrelacs de venelles étroites et tortueuses les traces de ce bûcher. Une rue des martyrs... pour ne pas oublier ces immolations déplorables...

Le mythe parfois peu éloigné de la réalité, on ignore si la toponymie est liée à un autel romain dédié à la déesse qui insuffla le savoir aux hommes, mais dans la topographie, la légende de sa naissance trouve une surprenante résonnance qui prête à sourire. De fait, comme l’Athénée surgie du front paternel suite à un coup de hache asséné par Héphaïstos, la Cesse, au pied du belvédère, sous un viaduc centenaire jeté par-dessus un précipice, jaillit d’une cavité souterraine située au bas des remparts naturels de la cité. Amoureux de l’onde, toujours curieux des choses capables d’apporter un surplus de réflexions, on franchit une poterne des veilles murailles de la bourgade. On dévale une raide pente, va jusqu’à la grande bouche ouverte qui recrache un filet liquide roulant sur un lit de galets arrondis par le flux irrégulier de la rivière intermittente. Arrivé devant l’ouverture béante, c’est un Mas d’Azil qui se dévoile. Un pont, dit-on dans la terminologie locale, auquel on peut préférer l’appellation de tunnel, tant le goulet, troué de part en part, perce les soubassements de la montagne. Sans comparaison avec les dimensions de la cavité ariégeoise, sans la présence d’une route, sans l’odieuse circulation et la pollution qui l’accompagne, le long corridor interpelle par ses jeux d’ombres, par la luminosité légère, pareille à celle d’une chandelle, qui ondule sur les parois et le cours de la Cesse. Plus on progresse dans l’antre, plus des sensations que l’on imagine avoir été celles des hommes de jadis s’instillent, comme pour faire comprendre la dureté de leurs quotidiens, comme pour s’imprégner de leurs simplicités de mœurs en osmose avec la nature... Dans l’ambiance caverneuse, le bruit de l’eau remuée par saccades, par des pas luttant contre un faible courant, se répercute sur les parois en des sonorités sourdes identiques à celles d’un papier froissé, jusqu’à ce qu’une touche plus cristalline ponctue la propagation auditive.

Malgré la fraîcheur, malgré le peu de profondeur, l’envie de faire corps avec l’onde pousse à s’allonger dans elle à l’horizontale, à sentir ses légers remous qui caressent la peau comme s’il s’agissait d’une chevelure limoneuse ondulant sur le derme transi par le froid. Par rite, par habitude plus sûrement, on plonge la tête dans la nappe de faible épaisseur, comme un chrétien le ferait dans une cuve baptismale pour signaler sa présence à un être surnaturel. Les ablutions achevées, l’eau à hauteur des genoux, le chemin pris à rebours entraîne jusqu’à la racine de la pointe du tertre, saillante comme la proue d’un navire. C’est là que les eaux à peine agitée de la Cesse confluent avec celles des gorges du Brian, guères plus dynamiques ; c’est là que la transparence et le coloris turquoise des deux liquides mélangés se manifestent avec le plus d’éclats, transportant un instant sur le plateau de Valensole, dans les gorges d’un Verdon aux couleurs si particulières. La suite du parcours se compose de regards vers les escarpements qui soutiennent le village endormi et écrasé par la chaleur ; vers les lits des rivières aux profils irréguliers ; vers les dentelures des faîtes cernant les deux gorges, accueillant un vignoble récemment réintroduit sur le Causse, et qui, depuis les rives des deux rus, découpent leurs ciselures sur un fond bleu azur…