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SPAGGIA
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Le vieillard et le jeune garçon / Ghirlandaio

Le vieillard et le jeune garçon / Ghirlandaio

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Le vieillard et le jeune garçon / Ghirlandaio
Le vieillard et le jeune garçon / Ghirlandaio
Le vieillard et le jeune garçon / Ghirlandaio

Portrait d’un vieillard et d’un jeune garçon

 

Ghirlandaio

Musée du Louvre

Vers 1490

0,62 x 0,46 mètres

 

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Précédent : Je crois avoir rêvé

 

 

« Le temps, effrayant et impassible, menace de son doigt et dit : Souviens toi ! Rappelles toi ! Rappelles toi ! Les minutes, mortelles folles, sont des filons à ne pas manquer sans en extraire l’or ».

Ce portrait est une des plus nobles peintures de la fin du Quattrocento. Le sentiment affectif en est vraiment grand. La beauté des deux personnages, dans la tête inclinée du vieillard, dans le mouvement si simple, presque gauche et pourtant si touchant et si vrai, de l’enfant posant sa main sur la poitrine de son aïeul pour marquer son affection, s’associent à un soin infini, à une fraîcheur et une brillance, comme si le tableau venait de quitter son chevalet.

Sachant si bien attraper du premier coup les ressemblances, Ghirlandaio a peint le vieillard et le jeune homme serrés l’un contre l’autre ; chacun, par respect pour la vieillesse chargée par les ans, par amour filial à l’égard de l’enfance, se regarde lentement. Mais peu d’emphase dans la tempera, juste des attitudes identiques, expressives de la vraie compassion, comme s'il s'agissait d'une évocation de quelques primitifs flamands aperçus peu de temps auparavant... 

Pourtant, dépourvu de tout pathos, au milieu d'une foule vous chahutant, maugréant presque, par crainte que vous ne preniez une place dans la file l'entraînant inexorablement vers la Joconde, on s'inquiète d'un début de cataracte sur les yeux du vieil homme... Puis, deux reflets lumineux, pareils à deux éclairs jaillis de ses pupilles, rassurent sur sa vigueur, un de ses frêles bras enlaçant même affectueusement l’enfant appuyé sur sa poitrine...

Dans les têtes, dans les gestes à la grâce émouvante, se lit comme une indéfinissable mélancolie... Sans l'altération de la pureté des traits, sans les excès exagérés d'humeurs trop expressives, Ghirlandaio a rendu mille fois plus charmants, plus poignants, plus intrigants, les deux protagonistes....

Ainsi, la grise chevelure peignée soigneusement en arrière, le plus vieux se protège contre les assauts du soleil. Assis devant une fenêtre ouverte, dessous ses fins cheveux blancs bombe une verrue, un appendice inhabituel, une trace des années passées en un instant sur son corps mortel. Enracinée à l'écotone de maigres fils blancs creusant comme des sillons, sous l’effet de la lumière, sur son front ; presque réels, les attributs de la vieillesse s'associent à des paupières mi-closes, à des yeux, justes entrouverts, justes attentifs aux mouvements du jeune homme presque statique...

Habillé du vêtement écarlate des patriciens florentins, le manteau laisse filtrer une bordée de fourrure qui rappelle sa chevelure... Ses mains, peut-être décharnées, peut-être aussi témoins de son âge avancé, sortent du cadre pour laisser place à de multiples conjectures... Ridé, les plis au coin des yeux, le ton bruni, parfois rosé, le jeune garçon se blottit contre lui. L’ardeur de la jeunesse chassée pour régler son attitude sur les gestes lents de l'aïeul, il porte aussi des habits riches ; du pourpoint et une toque ; un bonnet coquettement juché sur sa tête, fraîchement confectionné, posé sur de longs cheveux blonds signes de sa jeunesse.

Il semble avoir douze ans...

Le teint blanc, pas encore rembruni par le contact répété des éléments, ses yeux marron-clairs, d’un ocre verdi, traduisent une émotion qui n’a rien d’éphémère. Il a les paupières du bas gonflées et plissées, une traduction même d’une détresse, d'une fatigue accumulée, ou pire, de pleurs dissimulés. De son regard attentif, il semble épier sans trêve tous les traits de son parent, comme s’il voulait les retenir, les incruster dans sa mémoire ; et les narines dilatées, pas moins que ses iris orientés vers le vieil homme, il est en perpétuel affût des impressions extérieures que dégagerait ce dernier. Il recueille. Avidement, il happe les moindres messages. La bouche légèrement béante, il semble près à lui adresser une parole ; une question peut-être ? une interrogation suscitée par ses émotions ?...

Tout le morceau est peint avec largeur et une sûreté admirable. De l’ensemble émane une tenue si magnifique, que la composition, malgré le choix du portrait resserré, dégage une grande liberté où on sent Ghirlandaio ne plus être retenu par aucune difficulté dans l’art d’agencer, d’équilibrer, de faire mouvoir imperceptiblement les deux personnages à travers une rigoureuse symétrie, filigrane de la narration.

Le paysage tient sa place aussi. Loin d'un délicieux divertissement indépendant de l’action, il s’y rattache par voie d’allusions, par un chemin serpentant et évacuant les plaisirs vaporeux des deux protagonistes par la fenêtre, jusque vers l’horizon, jusqu'à une chapelle isolée au pied d’une colline verdoyante, vers un mont bleuté, dans le fond du fond, semblable à une stèle... 

Plus d’une fois, l'extraction hautaine a mis l'accent sur le mélange du familier et de la mélancolie dans tels détails de l’œuvre ; dans le nez, par exemple, trop gonflé, trop disproportionné ; dans la verrue sur le front ; tous des apparats relevant du rustre, pour des connaisseurs, souvent auréolés d'un fond de pédantisme. Et car on se fait fort de voir le monde sous un regard libre, car on s'interdit l'entrave et l'a priori, le contraste soigneusement analysé apparaît plus comme une exagération...

Pourtant, il est vrai que l'on attend peu du maître de Buonarroti une confrontation entre le sublime et le grotesque, entre la grâce et la laideur, et rares furent ses contemporains florentins, hormis peut-être Mantegna, a insisté sur ce genre d’oppositions. Mais dans cette figure au gros nez, peut-être enlaidie et caricaturée à plaisir, ne trouve-t-on pas plutôt plus d’imagination que d’observation véritable ? Ne trouve-t-on pas une imitation de Metsys, lequel ne manquait pas de retenir ce type de traits ? Maintenant que le temps a effacé le sourire enchanteur du vieil homme, que les années ont éteint sa fraîcheur, que la maladie a défiguré son visage, ce que l’on nomme communément laideur dans la nature, Ghirlandaio ne l’a-t-il pas transformé en une beauté véritable ? N'a-t-il pas, alchimie, féérie, commué ce nez affublé d'une épithète malheureuse en une attraction véritable?...