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Cortona (3)

Cortona (3)

Ephèbe di Via dell'Abbondanza, statue en bronze romaine du 1er siècle, 1m45, retrouvé à Pompéi en 1925. Il est l'un des chefs-d'œuvre exhumés sous les cendres de la cité

Ephèbe di Via dell'Abbondanza, statue en bronze romaine du 1er siècle, 1m45, retrouvé à Pompéi en 1925. Il est l'un des chefs-d'œuvre exhumés sous les cendres de la cité

Cortona (3)
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cours du Palazzo Carsali, musée de l'Académie étrusque et de la cité de Cortona

cours du Palazzo Carsali, musée de l'Académie étrusque et de la cité de Cortona

Cortona (3)
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duomo

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Cortona (3)
Crucifix, Piero Lorenzetti, vers 1320

Crucifix, Piero Lorenzetti, vers 1320

cycle de fresques conçues par Vasari, 1554-1555

cycle de fresques conçues par Vasari, 1554-1555

Lamentation sur le Christ mort, terre cuite, Benedetto Buglioni, 1517

Lamentation sur le Christ mort, terre cuite, Benedetto Buglioni, 1517

Adoration des bergers, atelier de Luca Signorelli, 1522

Adoration des bergers, atelier de Luca Signorelli, 1522

Cortona (3)
Cortona (3)
retable sur la Déploration du Christ mort, Luca Signorelli, tempera, en 1502, l'année où son fils Antonio mourut

retable sur la Déploration du Christ mort, Luca Signorelli, tempera, en 1502, l'année où son fils Antonio mourut

Cortona (3)
Cortona (3)

 

Cortona (3)

 

 

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Comme si une nuit de lune pénétrée dans la large pièce, la silhouette de l’éphèbe se dresse, des lueurs glauques, des lueurs bleues, des reflets dorés, peuplent son squame, se fondent parfois, s’estompent dans la pénombre, prennent des contours vaporeux par instant, plus nets et précis selon l’angle où on l’aborde, la statue scintillant quelques fois à l’image de grains de sable sur lesquels un fugace rayon de soleil apporterait une clarté nouvelle.

Elevée à une perfection désespérante, s’attachant à des principes sûrement puisés dans la contemplation de la nature la mieux choisie, elle se sert des règles pour les proportions diffusées par Polyclète, jeune, élégante, indolente même, le génie bouillant sous son corps de bronze trouvé enfoui dans les cendres et lapilli de Pompéi.

Ses yeux en patte de verre impassibles, l’ovale allongé et même régulier de son visage, austère et doux à la fois, dégagent une spiritualité profonde, un sentiment intime qui empêche de formaliser la masculinité ou la féminité de la statue, reproduction, semble-t-il, d’une œuvre grecque contemporaine de Phidias.

L’usage attesté de telles réalisations comme support d’éclairage à l’entrée de l’atrium, en vogue à l’époque, dans les élégantes demeures, l’éphèbe a du éclairer quelques festins nocturnes de son candélabre à double volutes florales qu’il tient dans la main gauche. Posé sur une seule jambe, à la façon dont Pline décrivait les œuvres de Polyclète, l’autre main dessine une cavité où, peut-être, un autre support lumineux, voire un canthare, pouvaient prendre place auparavant.

Nu, imberbe, androgyne par son faciès couvert d’une coiffure naturaliste, deux bourrelets inguinaux saillants délimitent le triangle de son bas-ventre, sa poitrine musclée se termine par deux pectoraux solidement attachés à de larges épaules surplombant un torse proéminent.

Prouesse d’une ère augustéenne, où l’aristocratie se prit d’intérêt pour l’art grec, on quitte à regret son nez droit, son menton fort, ses lèvres pleines et carminées encore, pour s’extraire définitivement du musée, et de sa cour à l’ambiance féodale.

Revenu au contact de la foule, un peu groggy par l’analyse de la pièce exceptionnelle imprévue, à pas lents, marchant, comme si l’exercice avait une vertu régénératrice et consolatrice, on zigzague parmi les rues rectilignes unissant la piazza delle Republica aux restes des murailles. La ville, peut-être établie sur un plan hippodamien hérité des Romains, on descend, on remonte son tracé de voies intersectées à angle droit, chacune des longues perspectives ouvertes sur le Val di Chiana ou la place nodale de Cortona.

Surprises des allers-retours, les encorbellements de la via Iannelli ont la propension de translater à Dinan ou Dol, jusqu’à ce que la cathédrale impose son fronton. Grise à l’intérieur, ses colonnes servent de corridors à des bas-côtés, à des chapelles latérales, mais rien ne retient plus longuement qu’un va-et-vient, tant, à rebours, l’éphèbe rend insipide les quelques œuvres exposées.

L’esprit incapable de se défaire de la statuaire d’un mètre-cinquante, le musée diocésain offre une opportunité a priori salutaire. On se dit que quelques-unes des productions entreposées chasseront peut-être le remord d’avoir quitté trop vite le bronze antique... On en caresse l’espoir… on cherche un subterfuge pour oublier… Et une fois entrée, les degrés d’une pente abrupte plongent jusque dans ses entrailles. Maintenant identique à une taupe, comme si proche de la cécité, on fuyait une clarté trop crue éblouissante, on se réfugie dans les ténèbres d’une sous-église de l’ancienne compagnie de Jésus. Persuasion… désir de goûter à l’art de maîtres plus ou moins célèbres… la progression s’arrête devant une Crucifixion, un Christ aux yeux malades et las, à la peau blafarde rehaussée de touches verdâtres pour figurer les ombres, un arc étroit dessiné sur son front bas, comme sur la découverte déterrée dans la cité perdue sous les magmas du Vésuve…

Réminiscence presque souffreteuse, le souvenir dégage l’amertume de ne pas avoir su extraire l’intégralité des saveurs de la statuaire romaine ; et, plongé dans un spleen insensible, même les fresques de Sacrifices de l’Ancien Testament inspirées de cartons de Vasari, même une Lamentation en terre cuite, vernissée, du plus bel effet, n’arrivent pas à chasser l’incertitude inhérente à une rencontre fortuite, où l’occasion s’offrait d’avoir plus à se dire...

Toutefois, peut-être sauf-conduits pour des pensées autres que celles se rapportant au Palazzo Casali, il semble que deux tableaux de Luca Signorelli agissent comme une thérapie…

D’abord, une Adoration des bergers à la symétrie axiale parfaite, scindée en deux parties équivalentes, ravivent le goût pour un Quattrocento finissant, la perspective mal assurée de personnages juchées sur le sommet d’une montagne révélant les incertitudes d’un art pas totalement maîtrisé et, sans doute, réalisé dans l’atelier du natif de Cortona. Loin des pieds salingues des pèlerins de Caravaggio, pris pour des adorateurs également, dans son œuvre dédiée à la Madone de Lorette, on retrouve dans la position accroupie des pauvres pâtres quelque chose de similaire, sûrement un canon esthétique voulu par le commanditaire et répercuté à travers les âges. Puis, abandonnant la tempera à la pigmentation colorée, un retable de la Déploration sur le Christ mort dévoile un tempérament bien différent.

Terrible épreuve de la mort d’un fils, sur deux rangs, les uns agenouillés, les autres debout, les membres de la famille Sainte, des apôtres, forment un cercle autour du cadavre d’un Christ mort. On dit qu’à la mort d’un de ses enfants, Luca Signorelli le fit déshabiller afin de le peindre avant de l’inhumer. Propos vrais ?... La connaissance du décès de son fils Antonio, la même année que le tableau fut réalisé, on ne peut extraire l’amour vibrant d’un père dans la pose macabre de ce corps dépourvu de vie, l’image devenant un conservatoire sinistre de la physionomie d’une descendance avant qu’elle ne s’efface… Etendu, le buste porté par une mère, une femme soutient un des bras et baise une main, signes d’une détresse et d’un respect mêlés.

Poésie de la foi, poésie grave cependant, les attitudes des personnages oscillent entre des sentiments parfois contradictoires, la tristesse, l’angoisse, le désespoir, l’inquiétude, l’acceptation, l’étonnement… Et, comme si dans cette scène dramatique, Luca Signorelli avait voulu mettre une part de lui, comme si sur ces drapés précieux, il voulait accompagner son fils incarné, il a couvert de luxe, il a répandu les bienfaits de la richesse, si proche de son caractère, sur les soies et étoffes, les habits de brocarts, à la manière d’un Jean de Bruges ou d’un Van Gent qu’il côtoya…

 

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