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Les doyens

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Pignone. Sur la colline face à la ville et face à la mer, on peut visiter l'un des plus importants sites de l'âge du bronze et du fer des Ligures, le peuple le plus ancien de la Péninsule. Il s'agit d'un castellaro, ancêtre des oppida celtes, qui ramène à l'histoire d'un peuple, les Cigno (Cignes), les anciens Ligures

Pignone. Sur la colline face à la ville et face à la mer, on peut visiter l'un des plus importants sites de l'âge du bronze et du fer des Ligures, le peuple le plus ancien de la Péninsule. Il s'agit d'un castellaro, ancêtre des oppida celtes, qui ramène à l'histoire d'un peuple, les Cigno (Cignes), les anciens Ligures

Pont aux substructions romaines. Pignone fut importante pour l'Empire romain car elle était située au carrefour de deux importantes voies de communication : l'une pour l'ancienne Segesta Tigullorum (aujourd'hui Sestri Levante , dans la région génoise) et l'autre vers Velleia, centre important des Apennins de Piacenza (Plaisance)

Pont aux substructions romaines. Pignone fut importante pour l'Empire romain car elle était située au carrefour de deux importantes voies de communication : l'une pour l'ancienne Segesta Tigullorum (aujourd'hui Sestri Levante , dans la région génoise) et l'autre vers Velleia, centre important des Apennins de Piacenza (Plaisance)

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Une vue indémodable sur la côte ligure... Peut-être la même que les premiers sédentaires de la région eurent au Néolithique, au 5e millénaire av. J-C ?

Une vue indémodable sur la côte ligure... Peut-être la même que les premiers sédentaires de la région eurent au Néolithique, au 5e millénaire av. J-C ?

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Une petite infidélité aux Cinque Terre, si peu cependant. Toujours, allez savoir pourquoi, à guetter l’original, le non conventionnel, à fureter comme en un musée, ici dans l’antichambre du littoral ; séparé d’une à deux crêtes de la mer, on est animé de l’état d’esprit inquiet de débusquer quelques antiquités. On chine. Dans une contrée non référencée sur les guides, on scrute, observe, on s’enferme dans un triangle imaginaire dont les sommets sont Brugnato, Riomaggiore et Monterosso al Mare. Sans buts déterminés, grand rêveur, on se croît être sur des routes équivalentes aux diagonales du polygone, et on s’essaie, prouesse de l’abstraction, à la compréhension du pagus qu’on traverse. La topographie gondolée à l’excès, par moment des perspectives insolites s’affichent, puis, un petit col franchi, on bascule en une cavité où l’humidité croupie, où la froidure et le coloris hivernal servent de décor. En des lieux, on retrouve le chemin du matin. On se souvient là d’une rencontre fortuite avec un apprenti cerf dressé sur un parapet, immobile, car ébloui par des phares surpuissants. Il semble que l’on avait alors ralenti le cours de l’excursion à cet instant, et, qu’attentif, inquiet de ne pas entraver le destin de l’animal, de ne pas déraper sur une route brillante d’un verglas posé par une température de sept degrés par-dessous le seuil fatidique où l’eau change d’état, on avait stoppé la célérité. Bref, un peu senti comme un aventurier amateur, un contrebandier des itinéraires touristiques usuels, le commerce interlope que l’on fait avec la contrée et les habitudes des étrangers, donnent l’impression, bien superflue, de vivre des moments uniques, d’être perdu entre deux bouts de civilisations distants d’à peine dix kilomètres au plus, de se trouver au sein d’un no man’s land...

Bientôt un village, somme toute anecdotique si on réfère aux borghi littoraux, retient plus qu’il ne devrait. Il s’appelle Pignone. Situé au fond d’un val, embrasé d’un soleil tombant, une partie de son semis maintenant dans la pénombre, une proche montagne plane sur lui. Enfermé en un sommeil, seule la chaleur diurne arrive encore un peu, pas au-delà de cette limite, à en échauffer la squame. La vie l’a quittée semble-t-il. L’exubérance latine tout du moins. Au crépuscule d’une existence qui, si on se réfère à son historique, a été pour le moins prestigieuse ; carrefour pour les Romains, fort de la venue d’un maître du Saint-Empire ; on sent l’abandon le guetter. Etiré le long de sa rivière, il fait penser à un village provençal par ses atours, à une Provence du plateau de Saint Christol, dont les extérieurs survivent avant de souffrir de décomposition. Serrées les unes contre les autres, une enfilade de maisons hautes forme une sorte de muraille. Habitats de gens âgés, d’autochtones aux occupations quotidiennes agricoles, ce qui lui évite le caractère de décrépitude est la propension que ce peuple outre-Alpes a su mettre à sauvegarder son patrimoine. Et de fait, même vide, même sans l’agitation coutumière des cités italiennes en une après-midi dominicale, on hume le respect des vieilles choses, la soif de transmettre au moins jusqu’à une génération suivante le mille-feuilles de vies humaines qui, patiemment, ont participé à l’identité de ce lieu. Forme de leitmotiv que cette course perpétuelle à inscrire ces endroits outre-Alpes dans ce qui me sert de mémoire, on ne sait que trop que tous ces efforts conservatoires ne sont qu’éphémères, sujets à ruines, en raison de l’exode rural qui guette, surtout, par le jeu des aléas telluriques de la Botte, si souvent destructeurs. Ainsi, conscient que l’Italie n’est qu’un musée en sursis, on s’astreint à prendre quelques clichés d’une place insoupçonnée au départ ; on se perd, volontairement, dans un dédale de venelles et rues étroites pour mieux conserver gravé le souvenir de ce village.

Toutefois, et parce que ce n’est pas le dessein général, et car une étude trop longue mènerait à un article interminable, on prend le large avec le hameau exsangue. En rien un cas isolé en cette région de Ligurie qui a perdu environ un quart de sa population en cent-vingts années, on grimpe, rejoint un belvédère proche de lui. Là-haut on s’arrête, à équidistance de la mer et d’une autre crête. Et malgré le soir qui vient, on s’impose une pause ; une halte autant matérielle que narrative, pour comprendre la substance de ce fragment conséquent des Apennins qu’on arpente. On se concentre peu sur la géographie, on y reviendra… En revanche, parce qu’on croît que pour bien connaître le caractère d’une région, pour s’en dévoiler les qualités, il faut avoir la bonne fortune de pouvoir observer son action sur la longue durée, de balayer le temps, de remonter très haut dans son passé, on s’interroge sur les deux notions opaques que sont la Ligurie, et celle de son peuple, les Ligures. Concepts mal ficelés dont l’Espagne, les plaines du Roussillon, la Crau, la Côte d’Azur, les Riviera, se réclament les héritages, ici, par-dessus Pignone, il semble que l’on en touche un embryon, du moins une de ses formes primitives.

Déjà implantés à l’âge du bronze, ennemis des Romains, amis des Phéniciens et de Carthage, les Ligures, précédents les Etrusques et Ombriens, sont le doyen des peuples de la Péninsule. Et heureux du présent que l’on s’est offert en préambule de ce site, c’est-à-dire n’avoir aucune prétention à l’Histoire, c’est doté de l’appareillage sommaire de l’amateur que l’on s’insinue dans le sentier brumeux de cette population à cheval sur la mer et les montagnes...

Par des coups de dés favorables, en soi peu prévisibles mais que livrent le hasard, à Pignone, la marche des choses met en contact avec un castellaro, l’aïeul des oppida celtes ; une forme d’établissement des anciens Ligures placée sur un terrain élevé et où les pentes en terrasses remplissaient des fonctions résidentielles, agricoles et de protections, comme, toute chose égale par ailleurs, on en voit aujourd’hui à Montségur, en Ariège. L’analogie Cathares présente l’amusant détail que ce peuple installé sur les côtes méditerranéennes, on parle des Ligures, de l’embouchure du Rhône à l’ancienne province de la Lunigiana, trouverait aussi une de ses origines fantasmées dans des régions reculées de la Méditerranée… Espagne, Ethiopie, confins orientaux de la Mare Nostrum ?... peu importe. Ce dont les cicérones ont la certitude en revanche, c’est que ce fut un peuple de montagnards et de marins, dont Gênes fut l’emporium, à l’égal de Spina pour le delta du Pô.

Donc, situés en cette vague zone que les Grecs anciens imaginaient le lieu où le char de feu prenait ses quartiers chaque soir, les Ligures habitaient ici bien avant qu’Hésiode les mentionne pour la première fois, avant que les Celtes n’aient la moindre envie de franchir la frontière rhénane. Leur pays ? Il présentait peu de choses qui méritaient d’être relaté selon les antiques ; ils vivaient par bourgades, et n’avaient qu’un sol aride à labourer et piocher, ou plutôt, comme le dit Posidionus, à tailler. Un temps cultivateur, un temps éleveur, un temps soldat, un temps marchand, un temps marin, le Ligure se frotta à l’éclectisme des activités humaines. Diodore les présente sous le jour de caractères trempés ne souffrant d’aucune contrainte imposée par des peuplades exogènes. Habiles commissionnaires si on ose dire, facilitant les transactions commerciales à travers leurs territoires semés d’embûches, guères confortables pour de calmes voyages, la performance physique semble avoir été l’élément consubstantiel à leur existence. Passant leur vie sur des montagnes enneigées et habitués à franchir des cols incroyablement escarpés, ils développèrent des corps agiles et musclés. Certains, en raison de la rareté des produits agricoles, buvaient de l’eau, mangeaient de la viande d’animaux domestiques et sauvages et se rassasiaient des herbes locales, possédant précisément la région la plus inaccessible à la plus aimée de toutes les divinités, Déméter. Donc, peu de cultures, hormis peut-être sur le modèle des restanques telles qu’on les voit par-dessus les borghi des Cinque Terre. Après… Après, à l’occasion, la chasse compensait la rareté des fruits du sol. Ils passaient les nuits dans les champs, rarement dans leurs huttes pauvres, préféraient le logis de cavités rocheuses et de grottes naturelles capables de fournir un abri suffisant. Avec l’énergie de l’animal sauvage, de leurs exploits militaires, on raconte que le plus imposant des Gaulois fut défié en duel et mis à hors de combat par un Ligure extrêmement maigre. Qu’intrépides, outre des preuves solides de courage effectuées lors de guerres, ils avaient la propension à combattre les circonstances de la vie qui impliquent de terribles affrontements ; comme la navigation dans les mers de Sardaigne et de Libye ; se jetant résolument dans ces dangers où il était impossible d’espérer secours. Car, peu au fait des progrès des techniques, vivant en quasi autarcie, faisant usage d’embarcations plus rudimentaires que les radeaux et presque totalement dépourvues de l’équipement habituel d’un navire, ils partaient vers des expéditions, voguaient comme sur cette mer face à moi, étendue infinie et sombre, par-dessus laquelle le soleil replie une à une les branches de son vaste éventail…

 

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