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PANICALE

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Panicale

 

 

Précédent : Castiglione del Lago

 

 

Panicale… Un petit borgo médiéval de trois-cents âmes au plus, au toponyme inconnu, sinon des autochtones, semble, depuis la plaine qui borde le Trasimène, un village éteint, un de ces bourgs perdus comme on en voit tant chez nous, et dont la vie à l’écart des grandes vicissitudes de l’Histoire s’est enfuie en même temps que ses habitants pratiquèrent l’exode rural…

Et pourtant…

Entre la mort de Giotto, en 1347, et la première œuvre de Léonard de Vinci, en 1472, durant les cent-trente-cinq années qui s’écoulèrent, et où la peinture italienne connut un profond changement, un bouleversement même peut-on dire, Panicale joua son rôle indirectement. Presque un siècle et demi de créations, de transformations radicales du métier de peintre, où Masolino, l’enfant du pagus, réussit à s’approcher des dernières limites de sa science ou de son art. N’épargnant ni ses peines, ni ses fatigues, pour arriver à une forme de perfection, il fut une des pierres du vaste édifice qui transforma radicalement le métier de peintre. Orfèvre au départ, comme bon nombre de ses contemporains basculant plus tard vers la voie picturale, c’est sous les conseils de son maître Ghiberti qu’il fit son apprentissage. Mais tout allait si vite, tout évoluait si rapidement… La peinture à l’huile, dont certains expriment l’invention de sa main et non de Van Eyck, comme il est coutume de le dire, s’introduisit, remplaça la détrempe. La toile, il la connut peu, la pratiqua à peine du moins, alors que sur la fin du Quattrocento, elle se substituait au panneau de bois traditionnel. Non ! dans cet univers de création, où même les sujets changèrent, où le paysage qui n’existait pas alors, du moins comme genre à part entière, s’introduisait dans les arrière-plans et enveloppait de plus en plus les scènes représentées, ce qui distingua Masolino, ce fut son style large, ses coloris harmonieux, un dessin plein de vigueur et de relief, des qualités entièrement nouvelles et en dehors de la manière de Giotto.

Aussi, alors que sous la canicule ambiante le Trasimène s’éloigne et s’endort presque dans un sommeil léthargique, alors que plus rien ne semble se mouvoir durant mon ascension vers Panicale, mon esprit bout des images de cet artiste remarquable, différent de ses prédécesseurs, et dont le rôle crucial est, hélas, malheureusement, trop souvent relégué au second plan en raison de sa collaboration avec Masaccio pour réaliser les fresques de la capella Brancacci à Florence.

Mais tout s’écrase sous la chaleur caniculaire du dehors. Même mes prétentions à la connaissance de l’art s’effacent pour laisser place à la contemplation du paysage éteint, qui, à chaque tour de roues supplémentaires, à chaque degré gravi, se meurt insensiblement. C’est à peine si de ma fenêtre grande ouverte, je perçois un nuage furtif, un léger flocon de ouate qui traverserait ce ciel embrasant la campagne et orientant les tournesols. Arrivé au sommet, une vapeur immatérielle, tant elle est insaisissable, flotte dans l’atmosphère immobile ; et seul un bateau divague sur le lac, sa proue, depuis mon belvédère, me paraissant déchirer une étoffe de soie aux effets chatoyants.

Une déchirure sans sonorité néanmoins, car rien ne semble pouvoir s’extraire de l’univers assoupi qui m’entoure, comme engourdi, comme plongé dans une langueur voluptueuse, dont seules des notes de piano impromptues échappées d’une chiesa apportent légèreté à cette pesanteur.

Ce n’est point croyable ! Comme si un impresario avait à l’avance écrit le scénario, tout se met en place à l’orée du bourg pour rendre ma visite agréable, pour me plonger dans l’atmosphère des ruelles que Masolino fréquenta dans sa prime jeunesse. Même le decorum est de la partie ; une haute muraille bombée, au périmètre elliptique, m’avertissant que l’esprit des guelfes et gibelins règne ici encore. Passé la grande porte, des couloirs étroits à ciel ouvert se déroulent identiques à des rubans. Nervuré de trois anneaux concentriques, le village s’étage comme une tour de Babel de Bruegel, jusqu’à son point culminant où triomphe un fût carré, dernier reliquat de l’ancienne rocca. Et partout court, en guise de raccourcis, des venelles étroites, des rues pentues et ombragées, surplombées par des arcs de soutien supportant les façades de hautes maisons. Partout des embrasures en ogives, des fenêtres géminées, des passages couvets aux poutres millénaires noircies par les affres du temps…

Puis commence la redescente. De place à place, on abandonne la rocca pour un espace plus lâche, pour le fronton de la chiesa principale aux briques rouges qui deviennent incandescentes sous les assauts du soleil. Enfin, dans cette atmosphère quasi féodale, il me reste à déboucher sur la piazza centrale, véritable agora cernée de demeures et d’édifices remarquables, laquelle glisse lentement jusqu’à buter sur la porte fortifiée de Pérouse…

 

Suivant : Panicale (suite)