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Agrigento, la plus belle cité des mortels (3)

Agrigento, la plus belle cité des mortels (3)

Temple d'Hercule

Temple d'Hercule

Agrigento, la plus belle cité des mortels (3)
Agrigento, la plus belle cité des mortels (3)
Echines et abaques au sommet des colonnes

Echines et abaques au sommet des colonnes

Agrigento, la plus belle cité des mortels (3)
Agrigento, la plus belle cité des mortels (3)
Temple dit de la Concorde

Temple dit de la Concorde

sépultures, mer Méditerranée à l'horizon

sépultures, mer Méditerranée à l'horizon

Agrigento, la plus belle cité des mortels (3)
Temple dit de la Concorde

Temple dit de la Concorde

Agrigento, la plus belle cité des mortels (3)
Agrigento, la plus belle cité des mortels (3)
Temple de Junon à l'arrière-plan

Temple de Junon à l'arrière-plan

Agrigento, la plus belle cité des mortels (3)
Agrigento, la plus belle cité des mortels (3)
Agrigento, la plus belle cité des mortels (3)
Agrigento, la plus belle cité des mortels (3)
Agrigento, la plus belle cité des mortels (3)
Agrigento, la plus belle cité des mortels (3)
Agrigento, la plus belle cité des mortels (3)
Agrigento, la plus belle cité des mortels (3)
Agrigento, la plus belle cité des mortels (3)
triglyphes sans métopes

triglyphes sans métopes

Agrigento, la plus belle cité des mortels (3)
Agrigento, la plus belle cité des mortels (3)
Agrigento, la plus belle cité des mortels (3)
Tombes des grands citoyens de la cité

Tombes des grands citoyens de la cité

Agrigento, la plus belle cité des mortels (3)
Agrigento, la plus belle cité des mortels (3)
Agrigento, la plus belle cité des mortels (3)
Agrigento, la plus belle cité des mortels (3)
Temple de Junon Lacinie

Temple de Junon Lacinie

Agrigento, la plus belle cité des mortels (3)
Temple dit de la Concorde à mi-plan

Temple dit de la Concorde à mi-plan

Agrigento, la plus belle cité des mortels (3)
Agrigento, la plus belle cité des mortels (3)
Agrigento, la plus belle cité des mortels (3)
Agrigento, la plus belle cité des mortels (3)
Agrigento, la plus belle cité des mortels (3)
Agrigento, la plus belle cité des mortels (3)
Agrigento, la plus belle cité des mortels (3)
Agrigento, la plus belle cité des mortels (3)
Agrigento, la plus belle cité des mortels (3)
Agrigento, la plus belle cité des mortels (3)

 

Agrigento (3)

 

 

Précédent : Agrigento, la plus belle cité des mortels (2)

 

Chapiteaux de champs, colonnes brisées, le grand temple de Jupiter est un conglomérat de substructions désordonnées, mis à bas par les éléments. Seul, dans cet univers ruiniforme, le dernier des télamons survit, inerte, mémoire ô combien nécessaire pour se rappeler la magnificence de ces lieux vieux de deux-mille-six-cents ans.

Le chemin vers le sommet de l’acropole encore loin, les frondaisons plus intenses, le parcours s’effectue entre des gravats accumulés, signes d’une déchéance. Le regard fugace, des yeux interrogateurs par instant, on suppose les fonctions de pierres d’antan, sans toujours être capable d’y mettre un nom. Isolées parfois, agglomérées en tas et bouchant les horizons, une passerelle, jetée par-dessus un fossé profond, marque la césure entre ce chaos et les véritables prouesses hellènes, débutant au-delà de ce pont.

Identiques à des rameaux poussés au cours de la dernière floraison, des fûts dessinent des troncs verticaux, sans ramures ni frondaisons, mais avec des échines, des abaques, pour uniques agréments. Plus proche des cylindres maintenant, sans fioriture, leurs styles doriques, sévères, s’imposent comme le seul modèle de décoration. Eléments d’un péristyle défunt jadis disposé sur les bords d’un vaste entablement, ils donnent une noblesse inattendue au sanctuaire pour partie ressuscité, résurgence d’un passé, comme une pousse nouvelle sortie des entrailles à l’orée du printemps. Les huit branches, triomphatrices des avaries du passé, ragaillardissent l’aïeul des monuments de la localité ; un vieux temple, proche de l’antique forum, révéré par les contemporains d’Empédocle, quand on lui donnait l’appellation du tueur du lion de Némée, Héraklès.

Pourtant, malgré sa parure redevenue juvénile, le bâtiment n’empêche pas l’existence d’un sentiment ambivalent. A la joie, liée au plaisir de voir une substruction pour partie conservée, se mêle le désarroi de constater le nombre excessif de ses décombres, abandonnées semble-t-il à côté de quatre vieilles marches conduisant jadis jusqu’à son pronaos.

A l’ombre des colonnes dressées, enflées au tiers de leur hauteur pour mieux répondre aux règles d’une perspective devenue inutile, la plupart des fûts déracinés gisent maintenant à terre, découpés, comme si la hardiesse d’un bûcheron les avait débitées. Rondins de pierres aux dispositions anarchiques, aux surfaces granuleuses, couvertes parfois de stucs albâtres pareils à un vernis aussi lisse qu’un émail, les fragments blanchâtres gardent la mémoire du passage de mes doigts sur le duvet poussiéreux de leurs surfaces. Entre les crêtes et talwegs de ses cannelures, dans un monde aux sensations devenues tactiles, le regret est de ne pas trouver des bribes jaunes pâles, vermillons et bleus azurs, jadis peintes sur toutes les faces.

Et comme si on cherchait à combler ce vide, comme si on voulait donner plus de prestige à cette épiderme de moindre qualité que les marbres du Parthénon, les pleins et les creux font penser à la fameuse anecdote de Cicéron, aux méfaits blasphématoires de Verres, l’odieux préteur de Sicile du temps des Romains, à cet individu, avide de rapines, s’étant mis en tête de posséder toutes les plus belles œuvres présentes sur l’île… Cleptomane, collectionneur peu avisé se faisant fort de détrousser chacune des cités de ses plus beaux ornements, à l’appui d’une poignée d’hommes issue du brigandage, par une nuit, les vandales s’introduisirent dans le naos du temple pour en extraire la fameuse statue d’Esculape, le dieu de Galien et de la médecine en général. Hélas pour eux, par bonheur pour les Agrigentins, trop rivé au sol par des attaches solides, les bruits métalliques engendrés par les leviers, les chaînes, incapables de désolidariser la statue de Miron de sa base, attirèrent la curiosité, puis la colère des habitants. Et alors que la plus belle des œuvres vue par Cicéron, alors que cette représentation chérie, baisée si souvent, au point d’en faire disparaître une partie de sa bouche et de son menton, s’apprêtait à quitter définitivement le temple, sous les yeux de l’Hercule bambin peint par Zeuxis, les mécréants, vilipendés par une population courroucée, durent abandonner l’espoir d’emporter le lègue laissé par Scipion, en l’honneur de sa victoire sur les Carthaginois.

A trois-cents mètres du lieu de ce récit épique, sûrement une des plus belles conservations de l’architecture grecque profile sa physionomie à l’horizon. Toujours possesseur de ses frontons, naos, pronaos, péristyles, et diverses attributions helléniques, il ne manque que les anciens métopes, les frises exposées jadis sur chacune de ces parois en plein, pour affirmer qu’il a le même allure qu’autrefois. Face à son état de conservation relevant presque du prodige, on reste stupéfait, comme si ayant échappé à la dessiccation, aux évaporations, à l’élévation des températures, on avait suspendu sa vie jusqu’à aujourd’hui, lui donnant l’éternelle faculté de survivre. Aussi, sous la lumière jouant merveilleusement avec les pleins et vides de son péristyle, dans un clair-obscur projeté selon les nuances sur les six marches de son entablement, de derrière une barrière bloquant son accès pour ne pas avoir à le dégrader, on se réchauffe de ses couleurs chaudes et dorées achevant de l’embellir.

A l’image des architectes d’antan, tournant autour du sanctuaire presque intact, on se prend à reconstruire les différentes étapes qui présidèrent à son élaboration. On songe aux calculs savants tirés de l’expérience d’un Phidias ou d’un Polyclète du temps de la réalisation de l’Acropole, cherche les multiples convexités, laissant dire aux érudits que rien n’est droit, que l’empire de la courbure, des ajustements, sont partout présents sur ce bâtiment dédié à la Concorde.

Par le jeu subtil du marteau, des ciseaux, fort des préceptes mathématiques de Thalès et Pythagore, les piliers des frontons manifestent la fameuse boursouflure aux tiers de leurs hauteurs pour ne pas avoir à dire que les colonnes s’amincissent vers le bas. L’architrave, en apparence rectiligne, possède une légère protubérance en son centre, de cinq à sept centimètres supplémentaires, pour ne pas voir les ailes s’envoler plus haut que le milieu des frontons centraux. Rien n’a véritablement la physionomie dessinée sous les yeux, tout est illusion, quête d’une harmonie, pour ne pas gêner le regard. Et même le naos, la partie intérieure du bâtiment, capitonnée entre trois murs, trois fois plus long que chacune des colonnes, répond à des principes géométriques.

Sous le coup de ces lois générales, si en vogue à cette époque, mais ignorées maintenant par tant de monde, on prolonge une légère ascension vers le temple suivant, la demeure dédiée à Junon, presque en aussi bon état. Longeant les anciennes murailles de la polis, à moitié excavée par la main des hommes, l’autre partie ressortant des vicissitudes de la nature, des niches en grand nombre percent le mur de défense, comme des fenêtres ouvertes sur la campagne environnante. Belvédères insoupçonnés aux arches en plein cintre, elles sont les sépultures des grands citoyens de la cité, de guerriers remarqués par leurs bravoures durant les combats, dont on pensait les ombres capables d’épouvanter les ennemis et de lutter aux côtés des vivants pour la défense de leur patrie.

Luxes d’un goût spécial pour les choses relevant de la mort, les chambres sépulcrales ont perdu leurs sarcophages de marbres et de porphyres. Mais on se plaît à penser qu’ici, peut-être, Empédocle plaça-t-il les fameuses peaux d’ânes servant à contrer des vents peu cléments. 

Mais déjà la vingtaine de colonnes survivantes du temple de Junon Lacinienne scande le sommet de l’acropole. Extrémité juste poursuivie par un autel dévolu à des rites sacrificiels, avant que l’on ne bascule définitivement dans le vide, une de ses terrasses forme comme une vaste esplanade. Derrière ses alternances de pleins et de vides composées par l’alignement de fûts d’une hauteur égale à cinq fois la corde passant par leurs centres, les reliques de son naos attirent le regard ; car c’est ici, par-delà des portes de bronze jadis closes, dans une atmosphère exhalée de fortes odeurs d’huile de nard, peut-être sous un plafond d’ébènes et de cyprès, par-delà un rideau de fils d’or et de pourpre, que se cacha le célèbre tableau de Zeuxis ; l’inventeur de la peinture à chevalet, le coloriste magnifique, vanté par Aristote et Pline, un expressionniste prenant les cinq plus belles filles d’Akagras pour réaliser, à partir de leurs meilleurs membres composites, un chef-d’œuvre dépassant par sa renommée la simple superficie de l’île…

 

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