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Quartier espagnol (2)

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Quartier espagnol (2)

 

 

Précédent : Quartier espagnol (1)

 

De la via Toledo elle-même partent des petites rues étranges accrochées à la colline Sant’Elmo ; rues étroites pleines d’ombres en bas, tandis que les derniers étages de leurs hautes maisons commencent à scintiller sous un soleil matinal ; partout on y voit des balcons, des terrasses, des fenêtres où pendent, telles des grappes, des fanions à l’effigie des joueurs du Napoli vainqueurs du scudetto l’année auparavant.

Du linge aussi, tendu sur des cordes en travers des rues et à n’importe quelle hauteur, intercepte les chauds rayons de l’aurore sur ces perspectives formant de véritables rampes escarpées ; et qui grimpent, grimpent, jusqu’à on ne sait où exactement.

La circulation pas toujours facile, dans la plupart d’entre-elles, dépourvues de trottoirs, toute la population des rez-de-chaussées commence à s’y installer, semble s’y être donnée rendez-vous. Des fleuristes improvisés ; âgés, très âgés, des grand-mères, des grands-pères ; s’activent lentement à composer des bouquets multicolores à la lisière de la via Toledo. D’autres, plus en amont, plus jeunes, installent des établis, sortent déjà des chaises et tables sur des terrasses en bois aménagées en cataractes. Les portes de maisons ouvertes sur la rue ; portes blindées auxquelles sont rivées par des gonds des volets métalliques tout autant défensifs ; on voit dans ces intérieurs des femmes qui font la cuisine ou qui procèdent, sans gênes, à la toilette de leurs enfants. Des univers microscopiques, sans air ni lumière naturelle, où un concentré de plusieurs générations cohabite dans une seule pièce, mangeant ou dormant ; où, alors que le soleil touche à peine les balcons les plus élevés, certains cherchent à quitter ces réduits promptement, la rue perçue comme une fente de liberté.

Des draps, des oreillers, des matelas exposés à l’air, des drapeaux, beaucoup de drapeaux azurs et blanchâtres ; et déjà du monde, plein de monde.

La saison entre l’hiver froid qui fait claquer des dents et l’été où on ne peut pas respirer à cause de la chaleur parce qu’il y a beaucoup de monde dans ces studios ; les bassi, ‘o vascio en langue vernaculaire, ne me font pas l’effet du pittoresque que beaucoup de touristes viennent y recueillir. Ils donnent au contraire une mélancolie, les images d’une tragédie qui se déroule lentement, sempiternelle, à laquelle on assiste en spectateur, et où des drames familiaux quotidiens doivent se jouer sans que l’on y puisse rien.

Déni de l’histoire ? Cette vieille tribu de Napolitains, dans ces ruelles, dans ces bassi, continue à faire semble-t-il comme si de rien n’était ; à faire ses gestes, à lancer des exclamations, à céder à ses excès, à faire son arrogance, à servir, à commander, à se plaindre, à crier, à rire, à se moquer. Irréductibles, vrais Napolitains si on ose dire, devenus malgré eux des attractions, ils sont l’expression du produit de temps immémoriaux, et d’une résistance acharnée à la modernité, baignant dans un mélange d’anarchie et d’autarcie, proposant une société a priori sans Etat dotée de ses propres lois, de sa propre stratification symbolique, et qui a su faire de cette étendue son territoire.

Portion de l’espace terrestre somme toute minime à l’échelle de la métropole, de générations en générations, ils l’ont conçus, envisagés dans des rapports d’interprétations individuelles et collectives ; eux en faisant une expression, une identité à part entière, une base communautaire tangible, et pourtant si proche par la distance du vieux centre historique et des autres citadins.

Le dialecte dur, rugueux et concis, les formules de courtoisies élémentaires ne paraissent pas y avoir une place. Monde à l’identité commune, le reflet des apparences une fois dépassée, entre holisme et individualisme, à travers des mots, des expressions, des regards furtifs, que l’on attrape à la volée, on y sent la valeur suprême de la soumission à des codes, à des hommes invisibles, à une hiérarchie bien établie où la primauté de chacun s’édifie selon les relations qu’il entretient, engendrant dès lors un contexte de plus ou moins grande liberté en fonction des modalités de gouvernance qui y règnent. Le paradoxe, dans cette société se référant à des valeurs spécifiques, est que l’individualisme semble y régner en maître. Extrême, l’éducation est celle du quotidien, celle d’une réalisation de soi mais qui ne s’envisage pas plus éloignée que la soirée ; et dont, peut-être, ces jeunes dévalant la pente à deux, voire trois, sur un scooter, sans casques, ne remerciant pas pour la voie que l’on vient de libérer, en sont les expressions les plus manifestes…

 

Suivant : Adieu Maurizio