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Fort La Latte

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four à réverbère

four à réverbère

Fort La Latte
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Fort-la-Latte

 

 

De Dinan jusque vers le Cap Fréhel, un tapis pourpre de bruyères, jaune d’ajoncs, remplace les plages luxueusement meublées de la côte dinardaise. Des perchoirs aussi, gigantesques, succèdent à l’estran et font le plaisir de mouettes aux cris stridents. Des falaises vertigineuses, debout dans la mer, dont les retraits accueillent des grottes récipients de mares transparentes laissées par l’océan à marée basse. Enfin, perché sur un énorme bloc, voici Fort-la-Latte…

La Bretagne a cette particularité que de faibles paravents séparent souvent le monde du merveilleux et la réalité, et, encore aujourd’hui, on peut trouver des croyances toujours actives entretenant des récits fictifs. Les Bretons aiment cela, ils le cultivent, se nourrissent de légendes pleines de poésies et de sagesses dissimulées, de ces fabrications aux sens masqués aptes à dénouer quelques vérités. La mort apportée par l’Ankou, qui frappe de sa faux les vivants et les emporte sur son char à l’essieu grinçant, hante parfois les nuits de personnes peu enclines aux explications rationnelles. Une maladie inconnue s’abat sur une population désargentée, une tempête arrive impromptue, des blocs accumulés pour donner naissance à un chaos, tout un éventail d’explications surnaturelles est là pour commenter ces phénomènes concrets. On croît rêver !... Mais on les envie en réalité, car il est inutile de transposer ces éléments dans un pays lointain pour leur accorder du crédit, ici, il n’y a qu’à se pencher pour en cueillir le substrat déposé par les couches des générations passées.

Fort-la-Latte, la Roche-Goyon devrait-on dire, ne fait pas exception. Et lorsqu'on marche dans le sentier sinueux qui relie le château à la terre ferme, le menhir dit de Gargantua rappelle ces atmosphères imaginaires. Des fables qui, d'ailleurs, ont comblé les heures vides des veillées. Des récits pleins d’effrois et de merveilleux jadis narrés au coin de foyers attisés d'ajoncs secs crépitant, des histoires, que les aïeux occupés à teiller le chanvre savaient raconter.

Ce n’est pas la première fois qu'on trouve trace de Gargantua dans la région. A croire que Rabelais se servit avec gourmandise dans les traditions locales pour en extraire la substantifique moëlle, le géant épicurien, né dans le creux de l’oreille de sa mère, fut peut-être inspiré par un être plus ancien, un Hercule panthophage gaulois qui tomba ici, y laissant dans sa chute un de ses doigts. Un doigt devenu menhir, de trois mètres, que calle un gros rocher lui servant de piédestal, et dont l’un des côtés possède un bas-relief grossier, une croix, pour partie effacée. Peut-être, songe-t-on, ce dernier symbole serait-il une allusion au banneret Goyon, l’ami de Barbe-Torte, dont la légende raconte qu’il serait enseveli ici ?

Or, c’est le moment que le destin choisit pour me confronter une première fois au castel à l’emplacement fabuleux. Si on ferme les yeux, il faut imaginer un maquis d’aubépines et de genévriers floconnés, prolongé par-delà ce névé odoriférant vers un gros promontoire au sommet duquel un donjon a priori étêté triomphe au milieu des embruns. Et puis, partout autour de cette construction de granit rosé, une eau émeraude, translucide, sa clarté s'éloignant très loin vers l’horizon. Pas de vagues qui agitent la vaste étendue, juste une petite barre d’écumes au pied du rocher, là pour symboliser la lisière entre deux mondes en perpétuelle compétition, mais sages pour l'occasion.

Avançant vers le tableau idéel, heureux que l’Homme ait respecté la nature et imbriqué la fortification dans celle-ci, la forteresse a été retouchée par Vauban, en faisant une place-forte, lui conservant néanmoins une touche de forteresse désuète qui fait aujourd'hui son charme. Ainsi, assis sur son éperon rocheux, le château trempe ses pieds dans le géant pédiluve, goutte le repos, jetant des regards vers le Cap Fréhel, immense muraille opposant sa face rouillée aux assauts incessants de l’Océan.

Il se raconte que Goyon, en 937, fut à l’origine de sa réalisation. Le vieux castel construit, il donna l’alarme à chaque tentative hostile, repoussant les sièges notamment des Grands-Bretons. Une de ses uniques défaites releva de la trahison, quand le félon Louis XIV, averti de son intérêt par Sébastien Le Prestre, imposa l’expropriation à ses résidents. Indulgent pour une fois, il couvrit sa décision arbitraire d'une mansuétude, laissant l’administration du lieu aux anciens propriétaires, des membres de la famille Matignon, des aïeux de Grimaldi maintenant habitant à l'extrême sud de la France. Son nom a changé aussi. Las de l’appellation de Roche-Goyon, on lui a préféré celle de Fort-La-Latte suite à son nouveau statut de place forte d’Etat.

Oh malheureuses générations qui ont vu ce que nous voyons, dirent des Chroniques anciennes ; car ici le malheur porté par un ouragan venu du Nord s’abattit sur le pays. Une tempête emportant tout sur son passage, les maisons de Dieu, les pauvres, déracinant les arbres, transformant la terre en un champ de cadavres où les corbeaux se délectèrent de chaires humaines. Le tourbillon, furie apportée par des adorateurs de Walkyries, les Vikings, peu osèrent le braver, mais Goyon en fut, et le seigneur de Plévenon se résolvant à mettre un obstacle sur leur route en ce point du rivage, il choisit ce site pointé vers la mer, éperon à pic, pour bâtir un castel et organiser la résistance. Ainsi, alors que l'on avance vers la forteresse, on comprend que le lieu est plus qu'un ornement, qu'il fut un gardien, vigilant, donnant l’alerte, ravivant la braise qui semblait éteinte, attisant même le vent d'une révolte, celle d’Alain, comte de Cornouailles, de Poher, héritier de Nominoë, lequel, le dernier, repassant la Manche pour l’occasion, devinrent la terreur des Normands jusqu’à les chasser définitivement après leur défaite à Dol.

Pour en revenir au castel, il possède une vraie rusticité féodale, et plus on approche, plus il évoque les vieux châteaux cathares bâtis sur des promontoires. En accord avec la topographie accidentée, deux précipices isolent son Avancée, traquenard éventuel pour des belligérants audacieux ou échelonneurs aguerris. Adaptée aux nécessités d’accueil des touristes, la barbacane a perdu son pont-levis, mais sa porte en tiers-point conserve toujours les traces de défenses du passé, des gonds oxydés par le sel qui fusionnent avec de vieilles pierres taillées, un pavage aussi, daté et gondolé. Le reliquat d’une ancienne herse achevant l’inventaire de cette première entrée, comme les degrés d’un escalier qui s’élèvent peu à peu, les fortifications du château prennent de la hauteur. Mieux équipée contre les assauts des armes de poing, des perrières, mangonneaux ou catapultes, la seconde ceinture développe un arsenal de mâchicoulis et meurtrières concentrés autour du châtelet. Mais le plus remarquable ne réside pas dans la muraille savamment agencée, il est sous le tablier, lequel enjambe une crevasse angoissante. La contemplation du pont suspendu intervenant au moment où un groupe d’écoliers s’apprête à pénétrer sous les voûtes de l’accès sécurisé, on ne peut refreiner un sourire, les plus intrépides, guères rassurés, osant un regard par-dessus la rambarde, d’autres, impressionnés, se tenant les mains, apeurés par les grondements sourds du ressac qui se démultiplient au contact des parois. Tous, moi y compris, seins et saufs, on franchit la porte dite de l’Assommoir pour profiter du calme de la cour intérieure.

Dominée par la masse circulaire du donjon, un monde lumineux y succède au revers ténébreux de la façade. Le silence aussi, les oreilles encore pleines du vrombissement des vagues qui s’agglutinaient et s’entrechoquaient au bas de la fosse naturelle. Le bourdonnement des cymbales aquatiques s’atténuant peu à peu, le moment jugé opportun pour scruter les particularités de cette basse-cour, une chapelle remaniée occupe le premier plan, des logis seigneuriaux, d’autres réservés à la garde, et, enfin, une petite citerne asséchée, coiffée d’un avant-toit, une réalisation du hardi Garangeau qui servait à recueillir l’eau des gouttières, la forteresse ne possédant pas de puits.

Juste derrière cette fontaine artificielle, l’ingénieux praticien a construit un ersatz d’ouverture, leurre pour des bateaux intrépides, lesquels, pour leur malheur, étaient happés inexorablement vers les récifs de la baie des Sévignés. Jamais en reste de créativité, il a aussi laissé un four à réverbère. L'invention, qui sait ?, peut-être inspirée de lectures de Lucien, une interprétation des « miroirs de la mort » d'Archimède ?, adapté aux nécessités de la guerre moderne, un enfourneur y introduisait des boulets dans un moufle surchauffé, jusqu’à incandescence, pour ensuite les propulser sur les voiles de flottes mouillant à proximité. Hélas ! Jamais la brillante création n'a servi, étant même inutile quand le général Bligh accosta dans la baie de Fresnaye, havre hors de portée, y débarquant huit-mille hommes menés par l’amiral anglais Howe, lesquels brûlèrent et pillèrent Saint-Briac, Saint-Lunaire et Saint-Enogat, en 1758.

A présent, ne restent plus que les intérieurs et la partie supérieure du donjon à explorer. Un escalier à vis raide et étroit, les mains solidement accrochées aux dernières marches posées sur la voûte sommitale pour finir l'ascension, une fois en haut, une fois redressé, derrière de faibles créneaux aux mâchicoulis trilobés, l’horizon se dégage, presque infini, un paysage aquatique et minéral au trait échancré. Très loin vers l’Orient, il semble apercevoir l’ombre fuyante de Saint-Malo, un instant on croit même discerner ses cheminées hautes perchées. Puis le regard glisse obligatoirement sur l’onde aux dégradés bleutés, proche de l’aquarelle pour ses parties les moins profondes, basculant ensuite vers le Ponant. Autre ambiance, sauvage, où les amas de rocs ont eu raison des rares plages de sables blancs. Là il y a des falaises, des soulèvements de pierres, des ruptures nettes dans la roche, des gouffres même, comme le Toul-an-Ifern qui paraît n’en plus finir et plonger dans les abîmes. Le Cap Fréhel aussi, qui barre de sa masse sombre une partie du lointain. Et des vagues ! Rutilantes, aux grondements infernaux, qui claquent, sapent et lustrent, ces colosses de granit.

 

Suivant : Cap Fréhel